Only the good die old
One shot17 12 2023
Attention, TW nombreux : allusion au suicide, à des images crues, sanglantes et violentes. Émétophobes s'abstenir.
Impossible de savoir comment Yara était arrivée jusqu'à son appartement du Londres magique, ce soir-là. Avait-elle transplané d'un seul jet, par à-coups, ou bien avait-elle fini par se résoudre à marcher sous prétexte de s'aérer les idées - difficile de le dire. Quoiqu'il en soit, elle avait fini par pousser la porte de ce lieu de passage où elle ne venait que pour dormir, avant de la refermer dans un claquement brutal et bruyant, sans se poser la question de savoir si ses voisins, eux, dormaient ou pas.
Il était 5h du matin passées, probablement que oui, les gens normaux dormaient à cette heure-ci. À commencer sans doute par la rouquine du troisième qui devait pioncer profondément en se rêvant cavalière sur le dos d'une licorne.
Mais Yara n'était pas normale. En tout cas, elle ne l'était plus tout à fait. L'avait-elle seulement été un jour ? Les évènements de la nuit constituaient désormais la preuve formelle que toutes nos certitudes pouvait être remises en question d'une seconde à l'autre, sans qu'on ait rien demandé.
Aussitôt que la porte fut fermée derrière elle, la chasseuse accourut aux toilettes pour vomir tout ce que son corps s'était forcé à retenir depuis plusieurs heures. Ça n'avait rien à voir avec les litres de sang qu'elle avait vu gicler, aux têtes qui étaient tombées, ni aux corps démembrés et dénués de chair entraperçus entre deux morceaux de cervelle. Ça, elle en avait l'habitude. Au point même qu'elle ne vivait que pour ça. Le chaos, la souffrance, la violence, c'était son passe-temps préféré.
Ce que son corps entier rejetait, c'était les restes d'émotions en pagaille qu'elle ne savait plus comment gérer, à force de les avoir trop longtemps reniées. C'était l'impression exécrable que tout lui échappait, et ce déni cruel dans lequel elle avait fini par faire son nid, faute de trouver une épaule solide sur laquelle se reposer.
Et ça, ça la faisait gerber.
Parce qu'elle comprenait mieux tout à coup pourquoi elle voyait toujours plus loin et plus clair que les autres. Elle comprenait mieux tout à coup pourquoi elle entendait tout, pourquoi les odeurs lui provoquaient si facilement des haut-le-cœur. Elle comprenait mieux tout à coup pourquoi elle savait si bien
les comprendre,
les anticiper et par-dessus tout,
les buter.
Parce qu'elle était comme eux.
Parce qu'elle avait ça à l'intérieur d'elle depuis toujours et qu'elle avait toujours refusé de le voir.
La tête penchée sur les toilettes, elle tituba jusqu'au seul meuble de son entrée. D'un seul geste haché, elle ouvrit le tiroir où elle avait rangé, quelques semaines plus tôt, la lettre d'
@Ellie Yard en attendant de la brûler. Ou bien était-ce parce qu'une partie d'elle bien enfouie avait déjà fait le rapprochement, même inconsciemment ?
Les résultats de Sainte-Mangouste étaient toujours aussi formels. Elle avait tout sous ses yeux mais elle avait toujours refusé de voir ce que ça signifiait. Encore maintenant, elle ne le savait pas tout à fait. Mais dans tout le désordre de sa vie, il y avait une chose dont elle était certaine.
Elle ne vivrait pas avec la peur constante que son gêne endormi ne finisse par se réveiller.
C'était impossible en plus d'être inenvisageable et au-dessus de ses forces.
Son corps épuisé tomba sur le sol alors que les larmes, elles, ne sortaient pas. Seule une autre Peeira auraient pu lui en arracher de nouvelles. Et une dans la soirée, c'était déjà bien assez.
Le dos contre le mur, Yara connaissait déjà la suite. Dans une série de gestes qui montraient à quel point c'était inné chez elle, elle sortait les lames d'argent soigneusement rangées dans son holster de cuisse.
La suite, vous aussi vous la connaissez.
La planter elle-même dans son cœur battant, et espérer silencieusement qu'il s'arrêterait de tambouriner rapidement. Bien consciente pourtant que là où on l'attendait ensuite, s'il existait seulement, cet endroit, elle n'aurait pas le droit à quelconque pitié.
La pointe de sa lame vint effleurer sa peau d'abord. Elle avait transpercé tellement d'épidermes avant celui-là, pourquoi le sien semblait à ce point hors de portée ? Ses yeux d'argent se levèrent au ciel comme si la réponse s'y trouvait. Mais aucune réponse ne l'attendait. D'un geste rageur, elle vint balancer la lame sur le sol dans un fracas qui réveillerait probablement la fille bizarre du troisième. Tant mieux. Quitte à passer sa vie à faire chier les gens, autant le faire jusqu'au bout. Y compris quand on réfléchissait à comment se donner la mort.
Pendant un instant, le prénom d'
@Eurion Cynfeirdd traversa ses pensées. Il avait bien caché son jeu celui-là. Car si quelqu'un avait pu savoir depuis le premier jour à qui il avait à faire, c'était bien lui. Pourtant, il n'avait rien dit. Et c'était précisément pour ça que Yara ne pouvait lui demander aucune aide pour la suite. Parce qu'Eurion parmi tous les autres êtres sur cette planète aurait été le premier à vouloir l'empêcher de quitter ce monde. Il y avait fort à parier que c'était même pour ça qu'après dix années d'amitié, il n'avait pas trouvé un seul moment pour lui glisser l'information, au détour de n'importe quelle conversation.
@Ellie Yard, elle, n'avait pas hésité. Elle avait dû jubiler en recevant les résultats - Yara pouvait imaginer d'ici ce sourire idiot et bienheureux se dessiner sur son visage. La haine mutuelle qu'elles se vouaient était telle qu'il était impossible de demander ce service à Ellie. Par fierté d'abord, et puis parce que ça aurait été lui faire un cadeau. Hors, Yara ne faisait pas de cadeaux. Et même dans la mort, elle comptait bien ne jamais rien devoir aux Yard.
Ça aurait été mentir de dire que le regard bleu et sérieux de Glenn ne traversa pas son esprit, à ce moment-là. Elle aurait probablement préféré mourir en sachant qu'il était mort avant elle. Mais malheureusement, on ne faisait pas toujours ce qu'on voulait dans la vie.
La preuve.
Les possibilités s'amenuisaient avec le temps et elle finit par se demander s'il n'était pas plutôt préférable de choisir avec une certaine attention qui lui donnerait ce qu'elle attendait, puisqu'elle était visiblement incapable de s'offrir elle-même cette issue-là. Plutôt que de se ruer vers le premier venu qui serait de toute façon trop mauvais pour la tuer comme elle l'attendait.
À bientôt six heures du matin, Yara n'irait pas dormir, pas plus qu'elle ne finirait d'ailleurs par se réveiller. À la place et pour optimiser son temps, elle se rendrait directement dans les locaux du CIS aux alentours de sept heures, où elle ferait les recherches nécessaires sur le dernier nom qui lui était venu tandis que les couloirs menant aux archives étaient encore vide.
Là, elle tomberait sur un dossier au nom familier, épais d'un cas en particulier qui l'était encore plus.
Et en parcourant les feuilles du casier judiciaire, elle comprendrait sans peine qu'elle venait de trouver
qui lui donnerait sans hésiter cette mort devenue nécessaire.
Ci-git Yara Morães De Carvalho,
casse-couille avertie et souvent déprimée
assassinée par Red Dust,
à peine regrettée,
sœur et mère de personne,
amie fidèle du meilleur menteur des Cynfeirdd.
À peine eut-elle le temps d'imaginer ce qui serait écrit sur sa pierre tombale qu'un maigre sourire s'échappait de ses lèvres.
Il valait mieux en rire.
D'autant plus que si
@Jack Deschain ne la tuait pas, c'était la malédiction de la Peeira qui s'en chargerait à sa place.
Mais ça... elle ne le savait pas encore.
Et lui non plus.
MADE BY @ICE AND FIRE.