Abandon ourselves to the Night

Amaranth avait indiquait à son compagnon, qu'elle avait une course de dernière minute à faire et qu'elle le rejoindrait plus tard dans la soirée. La frénésie des fêtes de Noel se terminait et glissait vers la fin d'année. Si les derniers événements lui avait offert un espoir renouvelé, ils avaient également éveillé l'empressement de sa situation. Si elle faisait confiance au médicomage pour se débarasser de l'artefact maudit, elle devait de son côté " purger " la deuxième partie de l'âme de Morrighan. L'apaisement de son double, et sa collaboration étaient pour le moins idéal. Il lui fallait profiter de cette alcalmie pour offrir à la Reine Paienne un hôte qui lui permettrait d'être en paix.

Avant de transplaner, elle avait chuchoter le prénom du prince des ombres pour l'avertir de sa visite. Deux mois avaient passés depuis leur dernière rencontre. En deux mois, tant de choses avaient changées, sauf leur tendresse et leur promesse mutuelle. Il fallait qu'ils discutent tous les deux.. Le sujet avait déjà été évoqué mais rien n'avait été concret jusqu'à maintenant. Ce que l'écarlate s'apprêtait à faire, à demander était à la hauteur du blasphème de sa propre mère.

Exorcisme.. Nécromancie.. Des mots interdits, mais nécessaires. Un dernier plongeon dans la plus sombre des magies, et Amaranth se rangerait. Elle en ferait le serment, et ne toucherait plus à ce genre de sortilèges.

Avancer dans le marché, par une soirée de grande influence était toujours une épreuve pour l'héritière. Elle prenait soin de maintenir sa capuche ornait de fourrure qui lui permettait de garder son anonymat. Sa rousseur aurait attiré bien des curieux, et une Mapleleaf au marché des trolls n'augurait jamais rien de bon. Bien sur, elle avait toujours l'option de se " réfugier " chez  @Zoey Woods à L'Ensorceleur, bien que son cousin n'apprécie pas sa fréquentation de lycan. Ambroise avait en horreur ses hybrides sans doute à cause des Yards. Elle ne pouvait pas le convaincre. Sa méfiance était une de ses qualités.

Il lui fallut emprunter des dédales de rues, pour retrouver le campement des tsiganes. Ses pupilles impériales évitant soignement les regards perçants du peuple des routes, si elle était l'ami d'Aram, sa nature même n'éveillait pas la même tendresse chez ses semblables. Inclinant la tête respectueusement en s'approchant de la roulotte, elle patienta quelques minutes qu'on l'autorise à y rentrer. Doucement, la sorcière poussa la porte de la demeure et entra dans la pièce aux milles objets.

- Aram.. appela t elle d'une voix presque timide. Ils s'étaient toujours retrouvés, mais jamais formellement visités. Cela semblait presque irréel. Leurs moments appartenaient aux songes, et à la nuit.

- Ne reste pas dehors, tu n’as pas à demander l’autorisation pour entrer : tu es chez toi !

La voix était parvenue étouffée, pour inviter Amaranth à pénétrer dans la roulotte du Romanez. Il avait su qu’elle allait venir au moment même où son esprit en avait formulé le souhait. Mais quand bien même Aram aurait été aveugle et sourd à toute l’indéfinissable magie qui les reliait, les yeux et les oreilles des gitans étaient présents partout sur le Marché aux Trolls et ils n’avaient rien raté de l’arrivée de la Mapleleaf. La plupart des tziganes du marché étaient hostiles à la présence de la sorcière en ces lieux, et ce qu’ils soient Olah, Balog, ou – pour la grande majorité en ces lieux – Torres.

Espagnols, Hongrois, Roumains… Ils ne permettaient à Amaranth de pénétrer sur le campement que parce qu’elle y avait été spécifiquement invitée par l’héritier Romanez. De nombreux sorciers tziganes avaient lu dans la terre, les flammes ou l’eau ce qu’aucun ici n’aurait osé prononcer à voix haute. Ils s’étaient détournés à la demande du Romanez des affaires de ce dernier, mais l’aura de cette sorcière à la chevelure écarlate ne trompait personne. Heureusement pour eux, les Torres qui maintenaient l’unité de ce campement étaient alliés de longue date des Romanez et la plupart choisissaient de faire confiance au prince. Ils savaient que s’il sombrait, l’arménien veillerait à n’entraîner personne avec lui.

Comme si aucun danger ne planait ni sur lui, ni sur son invitée surprise, le visage hilare et insouciant d’Aram apparu derrière un rideau de perles qu’il fit tinter en le traversant. Curieusement, la pièce sombre qu’il semblait avoir quitté disparut quand il eut passé le rideau, ne laissant plus voir derrière la rangée de perles brillantes qu’une simple kitchenette en bois aux étagères recouvertes d’épices.

Cela faisait deux mois que lui et la renarde ne s’étaient pas retrouvés, mais Aram aurait tout aussi bien pu l’avoir quittée hier. Bien que son cœur s’emplisse de joie en la voyant apparaître et alors qu’il envisageait de s’élancer afin de lui souhaiter la bienvenue, Aram choisit cependant de se figer, interloqué.

- I-a picat fața… Je n’en crois pas mes yeux, marmonna-t-il en la scrutant de la tête aux pieds. A fost imposibil, dar s-a întâmplat…*

Les cartes lui avaient révélé le miracle mais il avait refusé d’y croire avant de l’avoir vue de ses propres yeux. Certes il y avait eu les potions, les essences, les inhalations et rituels… Tous ses efforts et ses soins pour rendre concevable l’inconcevable… Mais Aram était bien placé pour savoir que même la plus ancienne magie n’aurait rien pu faire tant qu’Amaranth n’avait elle-même combattu certains de ses démons. Oh pas tous certes, et pas celle qui les inquiétait le plus. Néanmoins, la renarde était ressortie victorieuse d’une première bataille.

- Drăguță, tu es enceinte…

Il s’approcha d’elle pour la détailler, lui tournant autour avec un sourire de bienheureux pour ne rien manquer de cette nouvelle aura qu’elle projetait autour d’elle, comme un bouclier bien maternel. Elle avait conçu un enfant, avec un autre que lui. Si une pointe lui déchira le cœur à cette idée, il la balaya bien vite avec un certain soulagement. Le Romanez n’était qu’un oiseau de passage. Il n’était pas fait pour rester bien longtemps au même endroit, appelé par la bise, le grain blanc ou l’alizé à se rendre perpétuellement en de nouveaux lieux, à la rencontre d’inconnus et à la découverte de nouveaux enchantements.

Si Amaranth avait pu accomplir ce prodige, ce n’était que grâce à l’appui de cet autre homme qui avait dû lui promettre protection et stabilité. Elle le méritait – elle plus que n’importe qui d’autre – et il était fondamentalement heureux pour elle. Pourtant rapidement, le rictus de l’arménien se fana sur son visage.

- Drăguță, tu es enceinte, répéta-t-il sur un ton cette fois si bien plus inquiet lui attrapant la main pour la mener à la banquette afin de la faire s’asseoir.

Cet enfant faisait son nid dans un corps bien particulier, et sa présence changeait complètement la donne… Aram comprenait à présent bien mieux l’hostilité de la communauté tzigane à son égard. Amaranth venait-elle de commettre l’irréparable ? Offrir la chaire de sa chaire à son propre démon ?



* C’était impossible, mais ça s’est pourtant réalisé

La tension du peuple des cartes faisait vibrer les vitres ornementées de la roulotte du Prince, tout autant qu'il tendait la sorcière plus que raison. Le mensonge n'avait pas sa place parmi ses tisseurs de destin. Et elle saisissait le caractère blasphématoire de sa simple présence ici. Mais l'écarlate était protégée par le lien qu'elle chérissait avec Aram.

Le fait de se retrouver dans ce lieu, deux mois après. A quelques jours près, lui colora la peau d'une manière presque impromptue. Le regard si particulier de son amant, et les mots qui accompagnèrent sa surprise la laissèrent muette. Elle devinait les méandres de ses émotions, ou peut être elle était capable de les voir sous les traits de son visage. La surprise, la joie, peut être un regret passager, satisfaction. Aram n'était pas le père de l'enfant, mais d'une manière ou d'une autre il aurait pu. Et elle demeurait convaincue que leur histoire avait eu une incidence sur le corps tout comme le coeur de l'écarlate.

Si Nathan était son Roi, Aram était son prince avec une tendresse unique. Le bohémien lui avait toujours souhaité un homme capable de la mener à l'autel et à la rédemption. Il était celui qui lui permettrait de se libérer de ses chaînes. L'un comme l'autre avait un rôle à jouer dans cette existence mêlée. Dans une autre vie, ils avaient été époux paiens dont les pieds nus foulaient la nature sauvage des paysages de l'est. Mais dans celle ci, ils étaient destinés à défaire les noeuds de leur funeste destin. Ainsi le prince accomplierait sa tâche qui lui avait tant fait défaut, mettant fin à son tourment. Et Ama, rendrait à son double son repos et récupérer son corps et son âme.

Il répéta ses mots prophétiques, une seconde fois. Le bonheur avait quitté son visage et l'horreur semblait se saisir de ses pensées. Il fallut quelques secondes pour qu'elle comprenne sa peur.

Instinctivement, elle serra ses mains.

- Non, non... souffla d'une voix basse. Aram, je ne viens pas pour.. offrir mon enfant contre ma liberté. Par Hécate, elle en était incapable. Elle était là pour le sauver. Si elle attendait que la grossesse se poursuive, l'entité qui vivait en elle finirait par se lier à ce miracle qui grandissait en elle. Si pour le moment, les éléments de sa libération était en place. La moitié de l'âme hébergeait dans le journal, que Nathan allait faire disparaitre, le bonheur conjugal et maintenant un enfant. Bientôt l'avarice de son double se réveillerait, et de sa volonté à libérer son hôte il ne resterait que la jalousie de ne pas avoir été mère. Il s'agissait d'un faible équilibre qui pouvait se rompre à tout moment.

- Je ne peux pas attendre l'accouchement.. Parce que c'est ainsi que ma mère m'a " transmis " cet autre. J'ai besoin, de l'extraire avant.. il faut un réceptacle..

Honnêtement, elle le savait pas ce qui était plus dangereux. Il avait bien des rituels - interdits - d'exfiltration.

-Une sorte d'excorcisme.. Je peux le réaliser.. J'ai besoin de ton aide.. D'un corps mort, et d'un vivant. Si le transfert de cet hocruxe.. ne se passait pas comme il devrait, une femme doit être capable d'acceuillir l'enfant.

Pour joindre le geste à la parole, elle sortie de sa poche, quelques feuilles de parchemin dont les phrases semblaient être composées de plusieurs langues. Amaranth avait eu le loisir de se plonger dans des recherches obscures dans les bibliothèques familiales. Si elle n'avait pas remis la main sur le fameux carnet de sa mère, son feu père avait eu l'intelligence de copier son contenu sans jamais le comprendre. Et dernièrement en faisant du rangement, elle était tombée dessus. Elle soupçonnait que les protections magiques faillissent de plus en plus, au vue du temps qu'elle passait en dehors du domaine. Et le bureau de son père avait révélé quelques secrets, ces dernières semaines.

Amaranth parut horrifiée par le sous-entendu d’Aram, ce qui le rassura. Il ne s’en montra pas plus soulagé pour autant. Les sons qui franchirent ensuite les lèvres de la rouquine le firent au contraire frémir alors que des mots s’imbriquaient pour former un discours interdit. A côté d’eux, les flammes de quelques bougies vacillèrent et certaines d’entre elles s’éteignirent en les plongeant dans une semi-obscurité.

Le Romanez se mit à faire les cent pas, l’esprit tourbillonnant dans ce mélange d’effroi cauchemardesque qu’avait apporté avec elle la femme-renarde. Un corps mort et un corps vivant… Un véritable exorcisme tout en préservant la vie d’un enfant à naître… L’horreur de la situation le frappait en plein cœur, jetant une ombre au-dessus de sa roulotte comme un signe annonciateur de ce qui s’y préparait.

La sorcière à la chevelure écarlate et aux yeux pâles et perçants avait le pouvoir d’agir comme un phare, éclairant le chemin de tous ceux qui croisaient sa route – et pourtant – elle portait également en son sein une sinistre présence qui avait pris racine dans son âme. Le sorcier tzigane ne connaissait que trop bien les dangers qui les attendaient. Le démon qui possédait Amaranth était une entité puissante et malveillante, si dangereuse qu’ils n'avaient fait que repousser la simple évocation d’un possible exorcisme. Aujourd’hui, avec un enfant en route, les enjeux atteignaient un niveau inimaginable.

Reposant ses pupilles sombres sur son ancienne amante, Aram ne pouvait se défaire de l'image de l'enfant à naître entaché par les mêmes ténèbres que celles qui frappaient sa mère. Il pouvait presque entendre les chuchotements du démon, les narguant avec des visions d'un avenir imprégné de souffrance. Mais ce n'était pas seulement le sort de l'enfant qui pesait sur l'esprit du Romanez, c'était aussi la pensée de ce qu'ils allaient devoir faire pour le sauver. L'exorcisme qu'ils auraient à préparer était une entreprise périlleuse, qui pouvait facilement entraîner la mort d'Amarante ou pire. Et maintenant, avec la complication supplémentaire de sa grossesse, Aram craignait que leurs chances de succès soient au mieux des plus minces.

Il ferma les yeux, essayant de bloquer la cacophonie du doute et de la peur qui rodait autour de son esprit. Mais il avait beau essayer, il ne parvenait pas à échapper au sentiment de malheur imminent qui planait sur eux tel un linceul. La voix d’Amaranth, bien que douce et tremblante, lui prouvait qu’elle était consciente du danger. Et Aram, d’habitude le roi des baratineurs, ne trouvait plus ses mots qui restaient coincés dans sa gorge comme une malédiction. Comment pouvait-il lui dire à quel point il craignait pour sa vie et celle de son enfant ? Comment admettre qu'il ne savait pas s'ils avaient le moindre espoir de vaincre l’entité qui la tenait sous son emprise ?

C’étaient des phrases qu’il ne pouvait prononcer car lui comme Amaranth savaient très bien qu’ils n’avaient pas le choix. Ils combattraient ces ténèbres ensemble, quel qu'en soit le prix. Aussi, l’arménien força un sourire, une faible tentative pour se rassurer face à sa propre terreur.

- Nous ferons ce qu'il faut, mi dulce, lui lança-t-il, la voix creuse d'incertitude. Nous ne pouvons plus attendre bien longtemps, tu le sais… Plus ta grossesse avance, et plus notre fenêtre d’opportunité se referme… Je t’ai promis que je ferai tout pour t’aider, et je vais aller au bout de ma promesse…