Un cadavre dans le placard [ft. Urielle]

Le soleil s’était caché depuis un bon moment derrière les hauts bâtiments de la ruelle londonienne quand Vicky attrapa son manteau pour l’enfiler avec sa maladresse légendaire. La journée de travail se terminait, et la lumière chaude du soleil n’éclairant plus les textiles colorés, ils avaient à présent tous une teinte grisâtre bien moins attrayante dans la vitrine étincelante. Le reste de sa famille avait quitté les lieux depuis une heure au moins, lui laissant la tâche ingrate de ranger et de nettoyer derrière eux. Mais Vicky avait fait le choix d’accepter avec pragmatisme cette mission afin de profiter de ce temps seule pour souffler un peu.

La journée avait été particulièrement intense pour la pauvre couturière qui avait ces derniers temps des circonstances atténuantes. Elle avait en effet testé plusieurs potions suite aux conseils de la génialissime @Améthyste Miller, qui lui permettaient d’amoindrir son inversion. Mais certaines d’entre elles avaient quelques effets secondaires, notamment celui de la fatiguer considérablement et de lui provoquer quelques coups de mous et absences. Pour ne rien arranger, un client particulièrement malpoli avait fait de sa journée un enfer. Ce matin-là, il était entré en trombe dans la boutique, se plaignant bruyamment de la qualité d'une écharpe en laine de veaudelune qu’elle lui avait vendu quelques jours auparavant et exigeait à présent d'être remboursé.

Malgré les tentatives polies de Vicky pour résoudre le conflit, il s'était montré belliqueux et dédaigneux, insultant ses compétences et remettant en question les pratiques commerciales des Graham. Ses paroles agressives lui avaient laissé un goût amer dans la bouche, mais la vendeuse avait finalement lâchement accédé à sa requête – sous les regards lourds de reproches de ses frères et sœurs. Et s’il n’y avait que ça…

Jetant un coup d’œil dans la vitrine, Vicky se prit à froncer les sourcils. Depuis plusieurs jours, la Graham avait régulièrement l’impression de se faire observer. Elle n’avait jamais pu apercevoir qui que ce soit de louche, et pourtant, ce sentiment était si persistent qu’elle avait failli en parler à @Ebenezer Grimm avant de finalement se raviser. La sorcière n’avait aucune envie de déranger son ami avec un simple pressentiment. Cet espèce de picotement dans la nuque pouvait aussi bien se déclencher dans la rue, qu’au magasin ou encore pire, chez elle. C’était très dérangeant, et pourtant, Vicky avait beau se retourner le plus vite possible et lancer des sortilèges de révélation, elle ne parvenait jamais à démasquer qui que ce soit. La sorcière avait fini par mettre cette sensation sur le compte de sa fatigue et de son imagination, et se rassurait avec son optimisme habituel en se disant qu’au pire des cas, il s’agissait de quelqu’un qui ne faisait que veiller sur elle…

Alors qu’elle se dirigeait vers la sortie, Vicky vit du coin de l’œil la porte de la réserve légèrement entrouverte, ce qui était inhabituel en raison des quelques rongeurs qui habitaient l’enseigne et que cette dernière était censée repousser. En pénétrant avec curiosité dans la pièce, Vicky éclaira la pièce avant de pousser un cri silencieux – le son de sa voix s’étant coincé quelque part entre sa gorge et sa poitrine. Là, affalé contre une pile de rouleaux de tissus, se trouvait le corps rigide du client malpoli, sa peau cendrée et ses yeux sans vie fixant le plafond sans le voir.

Vicky recula en trébuchant, agitant presque machinalement sa baguette en lui faisant produire toute une série d’étincelles et de vapeur colorée avant de parvenir finalement à lancer un signal d’alerte à destination de la Brigade de Police Magique la plus proche.

02.12.23

Urielle bougonna. Il lui avait fallu une fois de plus rendre les comptes qu'elle ne pouvait pas rendre après une absence de quelques jours. Quand le Marché aux Trolls la happait, elle n'avait pas vraiment l'option de se débiner. Une chose que le Bureau des Aurors avait facilement compris entre les mots qu'elle ne pouvait pas prononcer, la faute à un maléfice de langue liée particulièrement ancien. Elle avait même désormais droit à son petit rendez-vous hebdomadaire au Département des Mystères pour essayer de dénouer le sceau du secret qui s'était imposé à elle sans qu'elle sache quand ni comment. Pour l'instant c'était peine perdue et quand elle avait le bonheur de repointer le bout de son nez au bureau de la BPM, on l'accueillait généralement frileusement.

D'ailleurs, les collègues avaient fini par lui garder sous le coude leur paperasse en retard. Le capitaine laissait faire, puisque le Bureau des Aurors lui avait simplement fait comprendre qu'il fallait faire avec ces absences injustifiées. Urielle quant à elle se prêtait au jeu du moins jusqu'à un certain point.

« Non mais faudrait arrêter de déconner là. Browley je vais pas me payer la vérif de tes contraventions en retard du mois dernier. », rugit-elle en constatant que c'était tout ce qu'on avait trouvé à lui refourguer.

Le dénommé Browley avait déguerpi juste avant qu'elle ne s'asseye. C'était la fin de la journée et le gros des effectifs étaient en train de rentrer à la maison pour laisser la place aux effectifs de nuit, plus réduits.

« T'inquiète mon coeur. On dirait qu'il y a du grabuge sur le chemin de traverse. Je te sors ce soir. »

Urielle haussa un sourcil. Avant même que d'en savoir plus, elle avait déjà jeté sur ses épaules son vieux cuir camel et emboîté le pas au brigadier Hobbs. Elles arrivèrent sur les lieux du signalement en un clin d'oeil. Rien de plus familier, l'enseigne Tissard et Brodette sur le chemin de traverse faisait partie des adresses incontournables. Les deux agents de la BPM entrèrent sans trop se poser de question. Il leur suffit de suivre le nuage de vapeur légèrement éventé pour se retrouver dans la réserve du magasin en compagnie d'un cadavre et d'une jeune femme à la mine décomposée.

« Madame, je suis l'agent Grimm, et voici l'agent Hobbs, nous allons prendre votre déposition. Pouvez-vous nous dire ce qui s'est passé ? », commença Urielle, très pragmatique mais rassurante, tandis que Lavender était en train de boucler le périmètre avec un sortilège repousse-badaud de son cru et quelques barrières magiques.

Depuis qu’elle avait découvert l’horrible cadavre dans le placard, Vicky était restée figée d’horreur, ne sachant où regarder, ni que penser de tout ça. La mort – surtout une aussi violente – avait ceci de terrible qu’elle sortait complètement de ce qui était de l’ordre de l’entendable. Hébétée, la Graham n’avait su que faire alors qu’elle venait de prévenir les secours. Est-ce qu’il était convenable de recouvrir ce pauvre corps tordu dans une ignoble position ? Est-ce qu’elle devait décemment éteindre la lumière et refermer la porte, afin de laisser l’âme de ce défunt faire le chemin qui convenait à ses croyances ?

Mais avant que la couturière ne prenne une décision qui risquait de compromettre une potentielle scène de meurtre, la Brigade de Police Magique débarqua enfin. Soudain, le silence du magasin fut empli d’un tumulte assourdissant, et la pénombre de l’endroit se retrouva éclairée de flashs bruyants chargés d’immortaliser cet effroyable instant. Une jolie rousse l’intercepta et en posant son regard agrandi de frayeur sur elle, Vicky haussa les sourcils de surprise.

Il s’agissait d’une Grimm, à n’en pas douter ! Une cousine d'@Ebenezer Grimm. La styliste rêvait de voir son ami ici pour la soutenir. Peut-être encore plus espérait-elle voir @Dilshad Zaman voler ici afin de la secourir. Il était désespérant de voir que la sorcière croyait encore à ces contes de fées dans lesquels les princesses se faisaient sauver par un mystérieux prince charmant. Et pourtant… Attrapant en tremblant la main de l’agente, Vicky acquiesça les larmes aux yeux.

- O… Oui… J… Je vais tout vous raconter…

Si les nombreuses potions qu’elle mélangeait sans grande précaution lui créaient des maux de tête et des absences passagères, elles avaient au moins le mérite de lui permettre de s’exprimer presque normalement.

- N… Nous avons fermé la boutique à 19 heures… La r… réserve était vide à c… Ce moment-là. Mon f… frère Brent a r… rangé les derniers rouleaux et il n’y av… avait rien. Je veux dire… Pas de Monsieur Cardenas. C’est le m… monsieur mort dans la réserve… Gunnar Cardenas… Mme Greyson était là à la fermeture. C’est une c… cliente. Elle pourra vous c… confirmer… qu'il n'était pas là à 19 heures... Et p... puis... Je suis r... restée là pendant une heure. Et... Je l'ai t... trouvé...

Nerveusement, Vicky se tordait les mains en réfléchissant autant qu’elle le pouvait dans cet état de panique intense. Qui pouvait bien avoir pénétré là, pendant qu’elle était seule à la boutique pour s’en prendre à ce client qui avait été aussi méchant avec elle ? Est-ce qu’il existait bien un prince – aussi ténébreux que mystérieux – qui veillait sur elle à distance ? Et surtout, pourquoi Vicky était au fond persuadée qu’il s’agissait de Diego Oliviera ? Était-ce parce qu’il lui avait déjà sauvé la vie avant de disparaître mystérieusement ?

- M… Monsieur Cardenas, l’homme qui est m… mort… Il est v… venu ce matin. Il n’était p… pas du tout content d’un achat. Il v… voulait se faire rembourser. Il était t… très énervé. Contre moi s… spécifiquement.

Brutalement, Vicky se mit à pâlir d'effroi. Un homme qui l’avait humiliée avait été assassiné dans sa boutique, alors qu’elle y était seule… La sorcière allait forcément être la principale suspecte ! Un agent venait de confirmer l’heure de la mort, survenue par sortilège quelques dizaines de minutes auparavant.

- M… Ma baguette, s’écria Vicky en la tendant en tremblant vers l’agente qui l’interrogeait. Vous pouvez vérifier mes d… derniers sortilèges.

Un agent s’en chargea à la place de Miss Grimm avant de lui murmurer à l’oreille que l’historique des sortilèges avait apparemment été effacé. S’il restait un peu de couleurs sur le visage de Vicky qui avait tout entendu, elles venaient de disparaître définitivement. La sorcière ignorait qu’un tel sort était possible mais elle crut bon de tenter de se justifier :

- J… Je ne comprends pas… J’ai peut-être fait quelque chose à ma baguette en essayant de vous appeler… J’ai p… paniqué… j'ai f... fait des étincelles...

02.12.23

Le reste de l'équipe ne tarda pas à les rejoindre, chacun s'attelant à sa mission sans gêner l'autre. Urielle n'y prêtait plus guère attention, elle-même ayant une part du boulot à accomplir, en l'occurrence, prendre en charge la personne qui avait donné l'alerte. Sans grande surprise, la commerçante était bouleversée et avait du mal à trouver ces mots. L'agente ne lui en tint évidemment pas rigueur. Notant scrupuleusement les informations qu'elle voulait bien lui donner et qu'elle réordonnerait plus tard d'un coup de baguette pour leur redonner la bonne chronologie, l'auror tiqua :

« Fermeture à 19h, vers quelle heure votre frère a-t-il quitté les lieux ? Vous étiez seule dans la boutique quand vous avez découvert M. Cardenas ? C'est habituel que vous restiez plus d'une heure après la fermeture ? »

Factuelle, elle ne tenait pas à jouer cartes sur table, c'eut été une très mauvaise idée quelle que soit l'issue de l'enquête mais il y avait d'ores et déjà des éléments qui mériteraient les habituelles enluminures. Celles-là mêmes dont @Nott Tyrfing disait qu'elles donnaient un petit truc cahier de brouillon d'élémentaire aux notes de l'agent Grimm et qui valait au moins quatre maléfices de confusion du Département des Mystères. Urielle s'y retrouvait toujours, c'était l'essentiel. Elle continuait de noter, son regard allant du parchemin à Miss Graham en aller retour successifs.

« Pourquoi spécifiquement contre vous ? », releva l'auror alors qu'il était question de la visite du futur macchabée le matin même et d'un peut-être mobile... cela, Urielle n'eut rien besoin d'en dire, Miss Graham savait tout aussi bien qu'elle additionner un et un, et la commerçante ne tarda pas à perdre des couleurs.

Elle prit les devants, proposant tout de suite une remontée des sortilèges, ce qui se trouvait être la procédure habituelle dans de telles circonstances. Urielle continuait d'observer et de noter le moindre petit détail, y compris l'agitation croissante de Miss Graham et, quand son collègue lui murmura à l'oreille que la baguette avait été effacée, l'agent Grimm acquiesça silencieusement sans laissait paraître de réaction particulière à cette annonce.

Elle exécuta un sortilège d'impassibilité sur un petit cercle autour d'elles avant de reprendre :

« Miss Graham, nous allons trouver une explication à tout ceci. Nous allons retracer cette heure minute par minute ensemble. », elle posa son regard sur sa suspecte avec une certaine compassion, « Vous fermez la boutique à 19h avec votre frère. Ensuite... »