Beginning of the end - ft. Jack Deschain

ft. @Jack Deschain

Les jours qui suivirent le pacte de sang liant désormais Jack Deschain et Yara Morães De Carvalho furent propice à l’introspection. Pour l’une des parties, tout du moins. Une exploration silencieuse du dedans qui poussait la chasseuse à se demander ce qu’elle allait faire de ce nouveau cadeau que lui offrait le temps.

À la mort de ses parents, la vie lui avait déjà donné un recours, une opportunité de reprendre sa respiration qui avait été entièrement consacrée à la traque, à la chasse et au sang. À force d’abnégation, ses effluves avaient fini par devenir macabrement familières.

Et voilà qu’au moment de sonner le glas, quand la mort lui avait tendu les bras, planifiée, contrôlée, désirée, un nouveau caillou s’était glissé dans sa chaussure. Sans y avoir été convié. Un simple contretemps comme il y en avait eu tant d’autres jusque là pour la détourner ponctuellement de ses objectifs — à la différence que cette fois, c’était son propre sang qui avait coulé à la fin. Dans un flux lent, planifié, contrôlé, désiré. Mais sans lui donner la fin tant espérée.

Pourquoi, comment ? Yara n’avait pas les réponses à ces questions et ne les cherchait pas. Au lieu de ça, ses pensées s’étaient tournées vers de nouveaux projets. Un, notamment, qui prenait toute la place dans son esprit depuis que les mots de Jack Deschain s’étaient logés dans sa tête.

Si je te tue ce soir, combien de loups danseront demain ?

La question n’était plus de savoir combien, mais plutôt, lesquels ?

Et nourrissant quels tristes desseins ?

Depuis qu’elle avait quitté sa terre natale, Yara n’avait plus jamais remis les pieds au Brésil. Pas plus qu’elle ne s’était de nouveau confrontée à Leandro, objet central de ses pires cauchemars durant de nombreuses années. Ce n’était pourtant pas l’esprit de vengeance qui lui manquait, mais il y avait plusieurs raisons à cela : le passé appartenait au passé. Tirer un trait sur sa vie d’avant et ce qui s’y était déroulé, c’était la garantie de ne jamais avoir à revoir surgir devant ses yeux la violence de souvenirs et, avec elle, ses plus grandes faiblesses.

Seul Glenn Yard avait eu un prompt accès à ses mémoires et cette funeste expérience lui avait amplement suffit.

Mais n’était-ce pas finalement dans le but d’une confrontation finale qu’elle s’était relevée, après le meurtre sanglant de ses parents ? N’était-ce pas pour se venger qu’elle s’était préparée tout au long de sa deuxième existence ? Le troisième acte ne devait-il pas être dédié à celui qui lui tout pris — sa famille, son pays, sa vie ? À cet autre qui s’était barré avec son cœur sans demander l’autorisation ? Ou encore à celui qui avait fuit le pays avec son secret ?

Avant de mourir, Yara avait quelques comptes à régler. Et c’était à cette obscure vendetta que le reste de sa vie serait consacré.

C’était décidé.

C’était avec cette conviction solidement attachée dans un coin de sa tête que Yara s’était rendue dans l’allée des Embrumes, au lendemain de Noël.

Dans la ruelle sombre et baignée d’un épais drap de brouillard, il n’y avait pas un loup, ni un chat. À peine un vieux matou parsemé de quelques poils çà-et-là, trop maigrelet pour se montrer inquiétant ou - qui savait ? - pour survivre à l’hiver. Les chants de Noël et ses airs de fête prêtés au chemin de Traverse avait, du côté des Embrumes, cédé leur place à un silence de mort, preuve que même les sorciers les plus mal-léchés étaient capables de trêve. Au final, les seuls regards que l’on pouvait y croiser n’avaient certainement rien à fêter, ou personne avec qui le faire.

En cela, ils avaient tous un point commun, ces badauds du 26 décembre.

Ses hautes cuissardes claquaient avec sévérité sur les pavés, sans se soucier de savoir s’ils venaient troubler la tranquillité sournoise de ceux qui voyaient à travers la brume. Le cuir sculptait à la perfection la galbe de ses jambes, de même qu’il était un formidable allié pour dissimuler sa fidèle lame d’argent dont elle ne se séparait jamais.  Encore moins dans ces lieux-là.

Non sans avoir jeté un regard à droite puis à gauche, la silhouette féminine se dégageait du brouillard pour pénétrer dans une échoppe de magie noire grotesque, affichant dans sa vitrine quelques artefacts de pacotille dans l’unique but de cacher ceux, plus sombres encore, que l’on pouvait trouver dans l’arrière boutique.

Après ses emplettes, la chasseuse claqua lourdement la porte en sortant de la boutique, un petit sourire satisfait sur les lèvres qui s’estompa instantanément à la vue d’un visage familier.

ft.  @Yara Morães De Carvalho

La main de Jack glissa à la façon d’un serpent sur la courbe délicate d’une cuisse. Les yeux fermés, le corps encore engourdis par les excès de la veille, son visage vint se nicher dans la nuque de la jeune femme qui n’avait guère dormi dans la chambre d’invité depuis son arrivée au chalet. Lui n’y pensait plus : dans la torpeur de la nuit, il avait simplement l’impression de sentir le battement délicat du Pacte contre sa poitrine, comme s’il lui assurait que Yara était vivante, comme si ça pouvait lui importer.

Pourquoi s’en ferait-il ? Elle avait du chien, ou plutôt, du loup. De quoi se défendre, bien mieux que lui sans ses balles en argent et sa rage naturelle. Elle avait tout ce qu’il fallait où il fallait, mais son esprit trouvait toujours le moyen d’y penser. Un peu.

La silhouette menue se rapprocha de lui. Un sourire lupin fila sur les lippes du Chasseur qui enfonça ses mains le long des flancs de la créature de rêve qui squattait son lit. Sa main engloba son sein alors qu’il ronronnait à la façon d’un gros félin contre sa gorge, embrassant d’abord sa nuque avant d’y faire glisser ses dents. Un plaisir animal.

« Yara » souffla-t-il.

Il ne fallut pas une seconde de plus pour qu’il se retrouve le cul sur le sol, fixant d’un œil hagard la silhouette de @Tyler Argyros, assise dans le lit, lui jetant un regard terrible.

Ah.

Va falloir que j’me fasse pardonner, pas vrai ?

Il suffirait d’utiliser sa bouche pour autre chose que de raconter des conneries, mais sur le coup, l’idée même d’avoir appelée la brésilienne l’avait surpris et désarçonné lui-même.

Tout ça, c’était de la faute de ce putain de pacte.


Il n’avait pas parlé à Tyler du pacte, et encore moins de qui était Yara – dans les détails. Au lieu de ça, il s’était concentré à s’occuper de Jayson, il l’avait emmené faire de la luge sur la petite bute qui surplombait la lisière du lac glacé par ce temps, et c’est là-dessus qu’ils s’étaient quittés, tout en se faisant la promesse de se revoir.

S’il avait eu dans l’idée de repartir aussitôt, Jack était finalement resté quelques heures de plus, d’abord pour ranger le chalet qui ne risquait pas de le revoir de sitôt, et ensuite pour recoller les morceaux de ce qui s’était passé cette nuit.

Ça le turlupinait, ça lui trottait. C’était pas logique, alors pourquoi… ?

Il aurait menti s’il avait dit qu’il ne la trouvait pas attirante – il aurait fallu être pédé même – mais Deschain n’était pas esclave de ses pulsions, et encore moins de celles de la chair. S’il l’avait été, nombre de succubes et d’empoisonneuses auraient eu raison de lui depuis des années. Et pourtant il l’avait appelé, tendrement, d’une voix chaude et pleine d’envie.

Voilà qui le dégoûtait, d’une certaine façon.

Levant les yeux au ciel, Jack chassa ce qu’il avait en tête et attrapa ses bagages.

Ce n’était pas une raison pour ne pas rentrer.


« Une gamine s’en est sortie » commenta Crowley, glissant un œil sur le profil de Jack qui allumait calmement une cigarette – une Malboro, coincée là sur le bout de ses lèvres, alors que la flamme dansait comme une étoile dans la brume épaisse noyant l’allée des embrumes.

« J’ai pourtant visé le tas » commenta simplement l’américain, en rangeant son zippo dans la poche de son blouson de cuir.

« Il faut croire que tu as perdu la main. »

Jack haussa les épaules.

« Je suis pas payé à la tête. D’ailleurs, le CIS est complètement schizophrène : ils nous donnent des indications sur des nids, mais on ne nous demande jamais expressément de tuer, juste de faire un petit tour, de faire le ménage. Est-ce que j’ai une gueule à faire le ménage ? »

« Drôle de gueule la soubrette » ricana, mauvais, Crowley, « au Ministère ce n’est pas mieux. On ne nous lâche pas la bride. C’est à peine si on peut faire un mouvement. Byrnes étouffe tout ce qu’il peut, comme si personne n’était en droit de savoir ce qui se passe… »

Jack allait pour répondre, mais son œil fut attiré par le claquement des bottes d’une silhouette qu’il reconnut dans son champ de vision. Son œil glissa sur le visage de Yara. La première pensée qui le traversa était pour le cadeau qu’il avait quelque part dans une de ses poches. La seconde fut pour le message de retour qu’il ne lui avait pas envoyé.
Et en même temps, pourquoi est-ce qu’il lui aurait envoyé un message ?

Crowley comprit à l’échange de regard que les deux se connaissaient, mais il n’avait pas envie de s’attarder. Il tapa sur l’épaule de Deschain comme on le fait à un ami :

« Si jamais tu t'emmerde au CIS, tu sais où me trouver », et comme il disait ça, l’homme s’esquiva, non sans glisser un regard lui aussi sur Yara.

Deschain, cigarette coincée entre les lippes, attendit que l’autre chasseur soit définitivement avalé par la brume pour faire un petit signe à Yara, de la tête. Un bonjour sobre, simple.

« Tu viens faire des courses dans le coin ? » Le ton se voulait léger. Il n’avait toujours pas envie de s’expliquer, de s’excuser. De toute façon, il ne lui devait rien, et elle ne lui avait encore rien demandé jusque-là. C’était juste chez lui que ça se détraquait. Il repensa à Tyler, à la dispute, à sa façon de se faire pardonner. Au pacte qui battait doucement, tout près de sa poitrine. « Ou tu me cherchais ? »

Jack ne put s’empêcher un sourire lupin, alors qu’une volute de fumée venait s’ajouter à la brume, lui donnant pendant quelques instants l’air menaçant d’un vieux dragon.

ft. @Jack Deschain

Passé l'effet de surprise, il était grand temps pour la chasseuse de reprendre contenance. Elle avait horreur quand son corps réagissait à sa place dans le feu de l'action, ne lui laissant bien souvent pas suffisamment pour conserver cette resting bitch face qui était d'habitude la sienne quelles que soient les circonstances.

Ses bottes reprirent leur raffut singulier et claquèrent bruyamment sur les marches du perron, foulant les pavés pour rompre la distance qui la séparaient de l'Américain du nord. À son passage, le souffle de la démarche assurée de Crowley ne fit que refroidir encore un peu plus l'atmosphère moite de l'Allée des Embrumes si c'était possible. Le regard de la chasseuse, surplombant son sourire mauvais, ne quitta pas le visage de poupée vaudou raccommodée. Mais pour une fois, elle se garda bien de saluer son ancien partenaire de jeu, peu prompte à insister pour engager la conversation avec son allié de toujours maintenant qu'elle savait qu'elle pouvait finir dans son viseur.

Ces derniers jours et depuis que Jack avait quitté la ville vers d’autres horizons, les plans de vengeance de Yara avaient pris toute la place sur le reste, la détournant provisoirement des notes magiques qui avaient tapissé sa table de nuit pendant quelques jours avant de finir en poussière dans son cendrier.

Leur fin funeste avait probablement à voir avec le fait que Yara n'avait toujours pas compris ce qui lui avait pris ce soir-là. Et comme à chaque fois qu'elle ne comprenait pas quelque chose, elle ne prenait pas le temps de chercher à creuser quoi que ce soit. C'est ainsi que le petit tas de notes avait soudainement disparu de son champ de vision, emportant avec lui le spectre d'un homme qui s'était retrouvé lié à elle sans que là encore, elle n'en élucide les raisons profondes.

Peu encline à répondre à des questions donc, Yara préféra répondre par une autre interrogation.

« Ni l'un, ni l'autre », lâcha-t-elle brusquement avec un regard courroucé. « Qu'est-ce qu'il te voulait l'autre affreux ? », s'enquit-elle aussitôt pour changer de sujet, en indiquant du menton la direction dans laquelle Crowley avait disparu sans se départir du soupçon de nonchalance qui la caractérisait.

Mieux valait détourner l'attention que d'admettre ce qui l'avait poussée à franchir les portes de cette boutique obscure dont la renommée flirtait dangereusement avec les limites les plus obscures.

La chasseuse s'appuya contre le premier mur que son corps trouvât et croisa les bras sur sa poitrine, enserrant un peu plus sa veste de cuir. Les allers-et-venues de la cigarette dans la bouche de Jack la forcèrent à détourner le regard alors que son cœur battait plus fort qu'à l'accoutumée dans un rythme curieusement familier. Elle repensa alors à leurs échanges avant son départ ; à ces quelques mots qui lui avaient échappés ; à ce cadeau de Noël qu'il avait promis à la condition qu'elle soit intacte à son retour — cependant, elle ne daigna même pas se saisir du sujet pour plaisanter.

Probablement parce que ça lui rappelait aussi la dernière note qu'il lui avait envoyé, et qu'elle préférait autant l'oublier.

ft.  @Yara Morães De Carvalho

Les mains rugueuses de l’homme se serrèrent doucement, comme s’il voulait relâcher la tension qui s’accumulait dangereusement dans ses épaules. Son regard posé sur le visage de Yara, dont il devinait que si elle n’avait rien dit au passage de Crowley, c’était parce que dans le fond, il y avait désormais une crainte latente – fondée, aussi. Si le Chasseur apprenait pour elle, est-ce qu’elle ne finirait pas à son tour, la tête montée sur un beau cadre de bois ? Jamais un trophée n’aurait été aussi joli.

Est-ce que Crowley s’en servirait pour s’astiquer tard dans la nuit ? Est-ce qu’il ferait en sorte de laisser légèrement entrouverte cette bouche adorable pour ses sévices ? Jack ne connaissait pas assez bien le Chasseur pour ça, mais parce qu’il avait côtoyé la fange de l’Amérique, dont on disait déjà que ce n’était qu’un pays fondé par des criminels et des prostituées, il commençait doucement à s’y connaître en détraqués.

En était-il un pour autant ? Il n’avait guère de réponse à cette question. Restait qu’il y avait pensé. Quelques secondes. Le temps qu’elle ne lui réponde, l’air un peu fâchée. Pourquoi est-ce qu’elle était fâchée exactement ? Pour la note qu’il n’avait pas envoyée ? Parce qu’il était avec Crowley ? Est-ce qu’elle craignait qu’il ne vende son petit secret maintenant ?

Le visage de Jack resta stoïque alors qu’il l’observait, cherchant soudainement des informations sur la raison de sa présence – ici, et avec Crowley de surcroît.

« On parlait boulot. »

Le Chasseur savait que ça n’allait pas lui suffire, mais elle ne méritait pas beaucoup plus d’explications. Elle-même ne lui en avait pas donné. Et leur relation à eux, c’était donnant-donnant, à défaut d’avoir un autre mot pour décrire leur engagement.

Il repensa pendant quelques secondes à Crowley, à son air vaguement intéressé. Qu’est-ce que ça aurait été si elle lui avait demandé à lui de la supprimer ? Crowley l’aurait sans doute fait, sans aucun état d’âme particulier. Du moins, Jack s’imaginait le gars comme ça. Sans fioriture, sec comme un coup de trique.

Mais ce n’était pas ça la question la plus intéressante et qui toujours revenait à l’esprit de Jack. La question était davantage : est-ce que tu l’as baisé, lui ? Comme si c’était important. Qu’est-ce qu’il allait faire de l’information ?

« Tu t’es bien amusée pendant les vacances ? » souffla-t-il, la fumée glissant de nouveau sur ses lèvres comme un rideau épais et grisâtre.

La cigarette remua sur ses lèvres. Elle détournait le regard de lui. Amusé, le Chasseur tendit la main, venant mettre son pouce sous son menton. Sans trop la forcer, il lui fit relever le nez et sembla l’ausculter, lui faisant pivoter légèrement la tête à droite, puis à gauche.

« Tu as l’air intacte, c’est bien, good girl » commenta-t-il simplement, d’un timbre de voix grave mais ambigüe. Et puisqu’il était sur ce sujet, tout en relâchant le visage de la petite furie, il continua : « j’imagine que tu veux ton cadeau ? »

Après réflexion, c’était le chemin le moins grave et le plus évident. Il valait mieux mettre ça sur un rapport purement codé, comme un contrat avec des engagements simples mais immédiats. Il valait mieux faire semblant de ne pas se poser dix milles questions, car ce n’était pas dans ses habitudes, et s’il faisait pour elle quelque chose qui n’était pas dans ses habitudes, elle devenait dangereuse. Elle devenait épineuse. Yara devenait même, pour ainsi dire, une faiblesse, et ce n’était pas raisonnable. Pas à son âge. Pas avec ce métier. Et encore moins au regard de tout ce qu’il avait vécu.

Il avait appris la leçon une fois, et durement.

ft. @Jack Deschain

La carcasse de la chasseuse restait immobile plus par nécessité que par conviction. Sans doute était-ce un moyen comme un autre de cacher la nervosité qui l'envahissait. Malgré l'inconfort évident de sa position, son petit jeu de dupe semblait prendre car de loin — et même de près — on aurait su affirmer avec justesse que son attitude expressément détachée donnait toute la place à son extrême opposé et qu'en vérité, la réponse attendue lui importait plus qu'elle n'aurait bien voulu l'admettre.

Bingo. Un sourire habilla un instant les lèvres roses de Yara après que Jack eut parlé — non pas parce que la situation prêtait à rire, mais plutôt parce qu'elle aurait pu parier sur ce qu'il allait lui dire et qu'elle aurait été certaine d'empocher le gros lot.

« Ce qui aurait été étonnant, c’est qu’il soit capable de parler d’autre chose », répliqua-t-elle sans aucune surprise, arquant les sourcils dans un air dédaigneux. Elle réajusta sa position contre le mur avant d'ajouter, avec une pointe de méfiance : « Donc, il te voulait quoi ? »

Ce n'était plus vraiment ce qu'elle s'attendait à entendre qui comptait ; mais plutôt ce qu'elle ne voulait pas l'entendre dire.

Jack avait entre ses mains le secret de sa vie, et maintenant que les jours étaient passés depuis leur pacte de sang, elle se rendait compte à quel point sa situation était précaire. Après tout, cet homme dont elle ne savait rien aurait tout aussi bien pu la vendre au premier venu, quand bien même Crowley aurait été le dernier visage qu'elle aurait voulu voir avant de mourir.

C'était d'ailleurs pour ça qu'il n'aurait jamais pu être l'heureux élu. Yara en avait suffisamment vu de lui pour ne pas vouloir se soustraire à lui demander quelconque service — et encore moins de cet ordre-là.

Il n'était pas question cependant de montrer à Jack la fébrilité qui engourdissait ses membres. Il en savait déjà bien assez.

Et pourtant, à en croire la nouvelle question qui filait à travers sa bouche dans un nuage de fumée, ce dernier n'était toujours pas rassasié.

« J'étais d'astreinte », lâcha-t-elle simplement, sans prendre la peine de lui retourner la question pour le moment. Une chose à la fois.

Jack mieux que personne pouvait comprendre à quel point ses nuits avaient dû être longues, suffisamment en tout cas pour lui permettre de penser à des centaines d'autres choses et se distraire à sa façon.

Puis, réduire ses pensées en cendres.

Son regard ambré s'affairait partout et nulle part en même temps. Il fuyait comme la peste cette cigarette qu'il faisait jongler dans sa bouche. Brusquement, elle se décida à la lui retirer des mains, comme un vulgaire jouet qu'on aurait voulu confisquer à un gamin énervant.

C'était toujours mieux de tirer sur une clope qui ne lui appartenait pas que de garder ses yeux rivés sur un point en particulier. Au moins, maintenant, elle avait entre ses doigts une excuse pour avoir lorgné sur ses lèvres. Et c'était tout ce qui comptait.

La satisfaction fut néanmoins de courte durée. Lorsqu'il attrapa son visage, ses pupilles se dilatèrent comme celles d'un animal sauvage avant de le laisser faire. Le feulement ne tarda pas en revanche, accompagné d'un sourire teinté d'ironie pour toujours mieux feindre.  

« Sinon quoi, Deschain ? On sait toi et moi que ça t’en aurait juste touché une sans faire bouger l’autre », répliqua-t-elle sans douter une seule seconde de ce qu'elle affirmait.

Se tromper n'était jamais une éventualité pour Yara. L'erreur, le doute, c'était pour les autres. Et la décision qu'elle avait prise en restant en vie témoignait d'ailleurs de toute son obstination.

Son regard changea lorsqu'il mentionna pour la première fois le souvenir de leurs dernières notes échangées. Elle s'écarta du mur qui l'avait retenue jusqu'à présent pour s'approcher de lui. La fin de sa cigarette se consumait entre ses lèvres qui s'étiraient désormais en un sourire. La fumée recrachée vint danser sur le visage du chasseur.

« Ça dépend, il a coûté cher ? », demanda-t-elle ensuite avec une certaine gausserie, mais sans s'écarter. C'était comme ça qu'ils avaient fonctionné jusqu'à maintenant, non ? Alors pourquoi abandonner le ton du sarcasme quand tout était plus simple grâce à lui ? « Je te préviens, j'aurais rien de mieux pour te remercier qu'une bonne bière chaude comme tu les aimes. »

À son tour, elle faisait référence à ces notes qui n'étaient plus qu'un lointain souvenir avant de porter la cigarette à sa bouche une dernière fois.

ft.  @Yara Morães De Carvalho

Le regard de Jack se fit plus appuyer dans celui de Yara. Elle laissait transparaître un mécontentement tangible, sincère, mais le Chasseur comprenait que ce n’était que la surface de l’iceberg. Il lui semblait – et il se demandait s’il se trompait tellement ça lui semblait gros – si elle n’avait pas tout simplement peur ? Peur qu’il ne la trahisse, comme d’autres avaient dû le faire sans aucun doute avant. Et à bien y réfléchir, elle était bien en droit de douter de lui. Ils avaient à peine passé leur pacte qu’il était parti – et en même temps il ne regrettait absolument pas la petite échappée et la bouffée d’air que lui avait apporté la rencontre avec son fils – mais il lui avait écrit, et c’est elle qui n’avait jamais répondu.

D’un air agacé, Jack se gratta la barbe, soufflant davantage de fumée soudainement. Il n’avait pas envie de lui parler de son échec, et encore moins de cette soirée. Pour tout ce que ça lui avait rapporté…

« Rien, rien » grogna-t-il finalement, comme s’il se faisait faire la leçon par sa femme après une virée entre potes qui se serait mal passé – mais s’il lui disait qu’ils avaient discuté de l’opération Caradigan, elle allait davantage s’inquiéter ; il passa une main dans ses cheveux pour les relâcher en arrière, « ils cherchent des mecs comme moi pour le Ministère, c’est tout. Il me vendait tous les avantages de la fonction publique anglaise… Sois pas jalouse car on t'a pas contacté. Tu sourirais plus, peut-être qu'on t'aurait proposé un poste aussi. »

Il fit de nouveau rouler sa cigarette sur ses lèvres, parce qu’elle le poussait à se défendre là où il n’y avait pas lieu d’être. Il ne lui devait rien, et encore moins de lui révéler ce dont ils parlaient avec toutes les personnes avec qui il parlait – son entourage n’étant quasiment que de chasseurs, il n’était pas prêt d’en finir avec les questions, s’ils partaient de ce pied.

Surtout quand Madame ne faisait même pas l’effort de répondre correctement à ses questions.

Il grogna quand elle approcha sa main de son visage, mais il desserra les lèvres afin qu’elle subtilise sa cigarette entamée. C’était pour ça, les regards ? Un ricanement fila juste après, alors qu’il levait les yeux au ciel.

« La prochaine fois, demande. »

…Là tu vas avoir le goût de ma salive – Jack se garda de continuer la phrase.

Trop ambigüe. Même pour eux.

Il tira de nouveau le paquet de sa poche, l’écoutant d’une oreille distraite. De nouveau il roula des yeux dans ses orbites, accrochant une nouvelle cigarette à sa bouche. Il n’avait pas vraiment envie de fumer, mais ça lui donnait une bonne excuse pour continuer à rester là, et peut-être que celle-là aussi, elle lorgnerait dessus.

Le Chasseur préféra ne pas répondre à la provocation. Est-ce qu’elle s’attendait à l’entendre lui répondre que si, ça lui aurait cassé les couilles de la retrouver en charpie ? Il ignorait s’il avait envie d’y réfléchir maintenant, mais force était de constater que quand il avait commencé à défoncer le tronc du sapin en compagnie de Jayson, il avait quand même pensé à elle. A ce qu’elle pouvait bien faire. A si c’était dangereux. Et quand il avait été choisir son cadeau, il s’était dit un petit instant que c’était bon signe. Elle devrait forcément se tenir, forcément être prudente si elle le voulait.

Et elle était intacte.

Valait mieux ne rien dire que de cracher des trucs qu’il allait regretter de toute façon.

Il pencha la tête quand elle lui posa une question sur le cadeau. Le prix ? Il ne savait même plus le prix. Jack ne faisait pas attention à l’argent. Ce qui rentrait, sortait presque aussitôt. Une façon de ne pas avoir de regret. De ne pas être la cible inutile de pauvres petits crevards. Jack était généreux – Tyler Argyros le saurait bientôt, et son fils ne manquerait jamais de rien, même si sa mère et sa grand-mère disparaissait. Mercy n’avait jamais manqué de rien, sauf de sa présence.

Ça le fit réfléchir un court moment, juste avant la seconde phrase que Yara lui assenait, joueuse, piquante.

Un petit sourire glissa sur les lèvres du Chasseur :

« Si ce n’est qu’une bière, ce n’est pas très intéressant. Mon cadeau vaut plus que ça. »

Il pencha la tête, tirant sur sa cigarette, gardant le silence qu’il trouvait agréable. Calmement, sa grosse carcasse vint se poser contre le mur à son tour ; l’épaule contre la brique froide et humide, mais ce n’était pas bien grave, le froid n’allait pas percer à travers sa veste de cuir noir.

Le regard perçant, dardé sur elle, le Chasseur ne put s'empêcher d'être mesquin.
Dans un murmure, il souffla à Yara : « Il paraît que les loups ont du flair. Tu peux toujours venir le chercher. »

Des poches, sa veste en avait tout un tas. A l’intérieur, à l’extérieur. Et y avait un paquet de truc à l’intérieur, entre des munitions en argent, un couteau télescopiquomagique et même une grenade qu’il traînait depuis qu’il avait fait un tour en Roumanie. Il se demandait même si elle était toujours active.

Le cadeau était dans la poche intérieure de sa veste, tout près du cœur. Parce qu’ici, personne n’y mettait jamais la main. Jack n’aurait pas craint qu’on lui vole tout le reste, mais ce cadeau-là, il avait été le chercher sur le chemin du retour, dans une boutique qu’il avait cru être la plus ancienne en Amérique. Il avait été reçu par Miss Tiffany, une jeune femme ravissante, blonde comme il les aime. Elle avait eu l’air étonné de sa requête, mais avait ponctué sa surprise par « vous savez, des demandes farfelues, on en a une chaque jour », et il n’avait pas répondu.

Une demande farfelue, Yara aussi en avait fait une, un dix-huit décembre…

ft. @Jack Deschain

Les deux chasseurs avaient chacun leur propre reflet dans le miroir. Et pourtant en cet instant, on aurait pu penser que les émotions de l’un déteignaient sur l’autre dans une parfaite symétrie. Cette façon que Jack avait de se gratter la barbe avec nervosité cachait mal une tension sous-jacente, de même que les traits de son visage qui changeaient subtilement.

Yara était loin d’être dupe puisqu’elle aussi, tentait de faire abstraction de la tension qui durcissait ses membres, mais ce n’était ni le lieu ni le moment pour tenir ce genre de conversation. Autant se balader dans les couloirs de l’unité de régulation des créatures magiques du ministère avec une pancarte : « je suis une louve, attrapez-moi si vous le pouvez », et s’enfermer à double tour dans le bureau de Crowley. La brésilienne avait beau ne pas douter de ses capacités un peu plus humaine que de nature, il y avait des limites à son éminente supériorité.

Intérieurement, elle se promit de ne pas mettre ses doutes de côté quant à la loyauté de Jack et de revenir sur le sujet quand ils seraient… seuls. Sans trop chercher à savoir quand, où, comment. Et d’ici là, elle serait attentive, autant que n’importe quelle autre traque pouvait le demander.

À la mention d’une potentielle jalousie, un rire bruyant et singulier s’échappa de sa bouche, rajoutant au charme déjà prononcé de la femme à la silhouette élancée. Un rire nasal, sincère, mais surtout condescendant puisqu’elle n’était bonne qu’à ça.

« Jalouse ? Moi ? », répliqua-t-elle en faisant mine d’être vexée. « J’ai bossé pendant plus de 10 piges pour le Ministère, Deschain. Crowley le sait mieux que personne, de la même façon qu’il sait que c’est quand je souris qu’il faut se méfier le plus. »

L’idée qu’il était en train de lui mentir effrontément ne quittait pas son esprit, mais elle fit mine de rien. Parce que si c’était le cas, s’il la vendait, elle saurait le débusquer bien assez tôt et tant qu’à faire le jour où aucune échappatoire ne lui serait possible. Tout comme elle comptait le faire d’ici les prochaines semaines avec Leandro, une fois que l’art de la magie noire lui aurait permis de retrouver sa trace.

« Un conseil », poursuivit-elle pour définitivement enrayer le sujet et le laisser penser qu’elle était passée à autre chose. « Attends que le gouvernement change. Ou bien tu finiras aussi ridé que lui. », ajouta-t-elle avec un nouveau mouvement de tête qui indiquait la direction empruntée par Crowley un peu plus tôt. « Ceci dit, sous ta barbe, ça se verra peut-être même pas. »

Surtout, une partie d’elle ne pouvait se résoudre à  affirmer à voix haute de quoi ses pensées sur le sujet étaient réellement faites. Que perdre son nouveau compagnon de jeu n’était pas envisageable, si peu de temps après l’avoir rencontré. Il lui semblait que malgré leurs évidentes différences, Jack et elle se comprenaient sans avoir besoin de parler. Et justement ; Yara détestait devoir s’expliquer. Elle pouvait passer des jours entiers à traquer la même proie, mais elle n’avait pas suffisamment de patience pour tout ce qui touchait aux relations humaines. Ça, c’était au-dessus de ses forces. Mais Jack ne lui demandait aucun effort. Tout comme Eurion Cynfeirdd, il savait visiblement à quoi s’attendre et c’était amplement suffisant. A ses côtés comme à ceux de son meilleur ami, c’était son terrain de jeu préféré.

« Ça n’aurait pas la même saveur », nargua-t-elle en laissant la fumée pénétrer son corps pour ressortir par sa bouche et ses narines.

Ne pas pester en revoyant qu’une nouvelle cigarette avait déjà pris la place de l’ancienne lui demanda un effort surhumain. Mais au moins, elle avait de quoi occuper ses mains et sa bouche pendant les prochaines minutes. Juste le temps de savourer le silence qui avait suivit son affirmation, donnant un peu plus raison à sa théorie : son secret n’était peut-être pas en sécurité avec lui. Mais dans ce cas, pourquoi le lui avoir confié en premier lieu ? La frénésie de l’instant, l’odeur irrésistible de son sang, la proximité de leurs enveloppes corporelles ? Quelle mouche l’avait piquée de s’être ainsi donnée à ce type qui sortait de nulle part ?

Yara regagna sa place en se laissant tomber contre le mur, puis souffla du nez devant l’ironie de la situation.

«  Ce n’est plus un cadeau si tu en attends un autre bien précis en retour. C’est une monnaie d'échange. Et je viens juste de faire mes courses », maugréa-t-elle en voyant que le jeu ne tournait pas en sa faveur. «  Et je t’interdis de parler de ça… ici », le menaça-t-elle dans un murmure après s’être approchée de lui.

Un peu trop peut-être.

Mais ça lui permettait de gagner du temps aussi, puisqu’elle comprenait à demi-mot qu’il allait lui falloir s’approcher encore.

Or, le parfum de Jack était déjà bien assez entêtant de là où elle s’était tenue pendant un moment. Maintenant que son visage se retrouvait à nouveau à quelques centimètres du sien, son odeur s’imprégnait même sur elle. Que se passerait-il alors quand ses doigts graciles s’aventureraient entre sa peau et l’intérieur de son manteau, là où la chaleur de son corps entrerait en collision avec l’incendie du sien ?

Elle pensait avoir été claire la première fois, quand elle lui avait confié n’avoir rien à lui offrir — ou très peu. Et pourtant, elle lui avait déjà tant donné. Yara avait trop de fierté pour lui servir davantage sur un plateau d’argent. S’il voulait plus, il allait lui falloir se montrer digne — et pourquoi pas, lui démontrer sa loyauté.

ft.  @Yara Morães De Carvalho

Elle avait travaillé avec lui.
De nouveau, nerveusement, Jack se gratta la barbe. Il lui semblait difficile de savoir si elle avait déjà approché Crowley comme elle l’approchait. Yara était féline, très probablement pas le genre de fille à se prendre la tête avec la fidélité et la sacro-sainte monogamie. Elle devait avoir eu tous les hommes qu’elle avait bien voulu avoir, dominatrice et prédatrice née. Avec son sang loup, pas moyen que ça ait été fade…

Et ça, ça l’emmerdait. Il ne voulait pas réfléchir à pourquoi exactement ça l’agaçait, et il préférait ne plus creuser le sujet au risque de devenir débile. Au risque de lui dire des trucs qu’il regretterait, de lui demander si en s’offrant à lui, elle lui avait tout offert, ou s’il était un énième guignol qui allait devoir se plier à la décision qu’il avait fait – aussi – sciemment, volontairement.

Il était mal placé, c’était lui qui avait proposé. Pour aucune raison valable.

Avec du recul, c’était une erreur.
Et elle devait penser la même chose.

Inspirant profondément, le Chasseur eut un petit grognement quand elle lui répondit.

Saveur.

Voilà qui était...

Jack pencha la tête, accoudé contre le mur.

Yara lui échappait, parfois, pour ne pas dire souvent. Il avait l’impression de la comprendre, et soudainement, elle changeait. Elle avait écrit certains mots, et pourtant, elle faisait comme s’ils n’avaient jamais existé.

Curieux, pensa le Chasseur, en recrachant de nouveau une nouvelle volute de fumée.

Curieux, se répéta-t-il, parce que son regard disait parfois l’inverse de ce que sa bouche articulait.

Jack Deschain, lui, était un honnête homme. Pas honnête en ce qu’il était loyal ou juste, mais honnête en ce qu’il ne mentait jamais – si tant est qu’on ne comptait pas le mensonge par omission comme un véritable mensonge.
Le silence était sa seule arme, mais c’est quand Jack ne répondait rien qu’il se faisait le plus mystérieux. C’est aussi dans le silence qu’il trouvait refuge, quand les mots étaient trop difficiles à prononcer, ou encore qu’il se refusait à en mettre sur des choses, des situations, des sentiments.

Honnête, le gars, mais lâche.
Un sourire amusé fila sur ses lèvres alors que la louve marchait dans son piège.

Elle approchait pourtant, tentée sans doute, curieuse.

« Je ne t’ai pas demandé de… », le mot resta sur le bout de sa langue, alors qu’il la surplombait, le regard sur elle. Proche, trop proche, pensa le Chasseur, qui n’avait pas l’habitude. Avec @Tyler Argyros, c’était différent, car la guerrière n’avait pas sa langue dans sa poche, et il n’avait pas eu besoin de faire dix milles allusions pour qu’elle finisse dans son lit. C’était presque naturel, avec Tyler. Il avait redécouvert ce qu’il avait déjà connu. Sa peau avait eu le goût de nostalgie, ses cris, des résurgences symphoniques.

Jack ravala sa salive, l’air penaud. Il n’était pas bon quand il s’agissait de flirter, et il n’avait jamais eu besoin de le faire. Les filles avaient toujours trouvé son chemin. Certains garçons avaient essayé, mais ce n’était pas trop son truc, mais les louves non plus. Il avait rembarré sans sourciller @"Ellie Yard", et pourtant elle était jolie, Ellie.

Yara était aussi une louve.
Une louve sans peau, sans meute.
Une louve qu’il avait dans le creux de la main.

Un pacte nul, voilà ce qu’ils avaient fait.

Le Chasseur eut un moment de latence, où il ne fit que regarder le visage de la louve, l’air sérieux. Est-ce qu’il était en train de la forcer à s’approcher et à le toucher ? Quel genre de pervers est-ce qu’il était en train de devenir ? Certes ce n’était pas l’homme le plus romantique du monde, mais ce genre de stratagème…

Franchement, grommela Jack pour lui-même, avant de finalement enfoncer sa propre main dans la poche de sa veste.

La boîte n’était pas bien grande mais pas petite pour autant, d’une jolie couleur nacrée. A n’en pas douter, un bijou attendait à l’intérieur – et très probablement un collier. Il tendit la boîte vers elle, lui laissant le plaisir de l’ouvrir ou non. Un ruban de tissu doré scellait la boîte d’un nœud extraordinaire. La petite fée de chez Tiffany lui avait dit que ça pouvait servir aussi de nœud dans les cheveux, mais il imaginait mal Yara avoir ce genre de lubie.

Il attendit, avant de spécifier, détournant un moment le regard pour voir si on entrait dans le petit coin de ruelle où ils étaient – et non, ils étaient seuls. Toujours.

« T’as dit que tu voulais de l’or », son regard était toujours sur le fond de la ruelle, observant les badauds qui ne faisaient attention à rien qu’à leurs pieds dans ce coin de la ville, « je me suis dis que c’était pas très juste que je sois le seul à avoir ce truc autour du cou, alors, t’as le tien aussi. »

Le chasseur garda les yeux ailleurs, attendant d’entendre le bruissement du ruban pour venir scruter sa réaction, si tant est qu’elle se décidait à l’ouvrir devant lui.

Une partie de lui aurait préféré qu’elle l’ouvre ailleurs. Loin de lui.

Le cadeau en question:

ft. @Jack Deschain

Il n'y avait plus une seule feuille de tabac séché à fumer. Ne restait plus entre ses doigts que le filtre qui était allé et venu tant de fois entre les lèvres de Jack avant de rejoindre les siennes. Même s'il ne lui restait plus rien, par réflexe, Yara jeta le cadavre de sa clope par terre avant de l'écraser frénétiquement sous la semelle de sa botte.

Que n'aurait-elle pas donné en cet instant pour aller donner une raclée à un inconnu dans l'arène de @Tyler Argyros. Elle mourrait d'envie de décaler une mâchoire, casser des dents même, se fêler quelques phalanges, si ça pouvait lui permettre de défouler tout ce petit monde qui s'agitait à l'intérieur d'elle.

Mais si tout pouvait disparaître aussi simplement qu'une cigarette encore fumante, ou partir aussi vite qu'un coup de poing bien placé dans la gueule d'un camé, la vie serait certainement beaucoup plus simple.

Il n'y avait plus une seule feuille de tabac à fumer, et ses doigts n'avaient officiellement plus rien sous la main pour s'occuper. Yara n'avait plus qu'à se faire violence pour ne pas laisser ses propres yeux lui désobéir.

Et il fallait admettre que Jack, consciemment ou non, ne lui facilitait pas la tâche.

Elle n'aurait su dire ce qui le rendait aussi insupportable qu'en cet instant, mais la chasseuse avait côtoyé suffisamment d'hommes pour savoir que ceux qu'elle abhorrait au plus haut point avaient toujours été ceux qui l'avaient profondément marquée, là, dans sa chair.

De mémoire cependant, elle n'avait signé de pacte avec aucun d'entre eux. Jamais une seule promesse n'avait glissé dans son souffle. Pas une seule goutte de son sang n'avait coulé devant eux.

Par conséquent, aucun autre ne lui avait jamais fait cet effet-là.

C'était probablement pour ça qu'il lui était si difficile de succomber à ses pulsions charnelles. Parce que c'était la première fois que ça aurait un sens, aussi absurde soit-il, et qu'il lui était impossible de se l'avouer pour le moment et aussi rapidement.

Si elle avait su, elle y aurait probablement réfléchi à deux fois avant de l'appeler.

Car la vision de son regard clair, tantôt perplexe, tantôt curieux, souvent sérieux, parfois indécis sur l'attitude à adopter, lui donnait presque envie de renoncer à cette carapace qu'elle avait construit de ses propres mains au fil des années.

Presque. Là était la nuance. Elle se méfiait encore trop pour lâcher du lest.

Pourtant, quand Jack sortit un petit écrin depuis l'intérieur de son manteau de cuir, la chasseuse ne put retenir son regard, ni même le contrôler. Ses yeux se relevèrent naturellement vers lui pour le questionner.

Cette histoire de cadeau avait toujours relevé du jeu, et jamais elle n'aurait pensé qu'il lui présenterait un jour un paquet aussi bien emballé.

Qui, depuis que ses pieds avaient foulé la terre du continent européen la première fois, avait déjà eu l'audace de lui offrir quoique ce soit d'autre qu'un regard circonspect, méprisant ou effrayé ? Eurion avait déjà dû s'y risquer, mais qu'en avait-elle vraiment retenu ?

Quand Jack reprit la parole, Yara se rendit compte qu'elle n'avait pas cessé d'interroger son visage. Et si lui se dérobait peu à peu devant elle, elle en avait carrément perdu l'usage de la parole. Jusqu'à ce qu'il se confonde dans une histoire d'or, de truc autour du cou, qui l'aida tout à coup à revenir à l'instant présent.

La chasseuse reprit ses esprits et regarda à deux reprises autour d'elle.

L'idée qu'un mec comme Crowley pouvait assister à une scène comme celle-ci, caché dans l'espace vide et sombre d'une ruelle adjacente, aurait probablement pu la rendre malade.

« Pas ici », lâcha-t-elle simplement - trop prudente sans doute, mais on ne l'était jamais trop.

Yara posa sa main sur le bras de Jack et, sans lui demander son avis ni même lui donner d'explications, ils transplanèrent.


L'air de Tinworth lui avait toujours semblé plus respirable que celui, plus encombré, des rues agitées de Londres. Était-ce l'odeur iodée de l'océan qui l'aidait à avoir les idées plus claires, ou bien ces plages interminables lui rappelaient-elle suffisamment son pays pour qu'elle y trouve une place — la sienne — Yara n'aurait su le dire. Quoiqu'il en soit, quand il lui avait semblé indispensable que la suite des événements ait pour décor autre chose qu'une avenue humide, terne, et bercée par une brume constante, Tinworth était le premier endroit auquel elle avait pensé. Ici, elle aurait plus de facilités à penser, à réfléchir, à s'exprimer.

Elle avait pensé à cette crique à l'abri des regards indiscrets, certainement vide de touristes à cette période de l'année. Et ça tombait bien, parce que c'était justement ce qui lui avait trotté dans la tête depuis les dernières notes échangées avec Jack, bien que sa fierté l'empêchait de l'admettre.

Une fois que ses pieds eurent touché le sol, lui donnant un appui concret sur la terre ferme, la main de Yara resta posée quelques secondes sur le bras de Jack avait qu'elle ne le retire machinalement, tenant dans son opposée le cadeau qu'il lui avait remis un peu plus tôt.

Sans dire un mot, elle s'éloigna de quelques pas, sans même le regarder. Puis, face à la l'étendue d'eau salée, elle ouvrit la petite boîte en lui tournant le dos, trop pudique pour lui offrir sa réaction alors que le ruban doré retombait entre ses doigts graciles.

Un sourire fendit son visage.

Un vrai sourire, comme il y en avait trop peu pour venir éclairer ses traits.

Mais Jack n'aurait pas le bonheur d'en profiter. L'océan, en revanche, avait tout le loisir de savourer cet instant.

C'était de l'or, en effet. Et la forme du pendentif trouvait un étrange écho avec le tatouage encré à la naissance de son poignet. Le premier croissant de la lune par-dessus ses veines, et l'étoile du Berger au creux de son cou. Existait-il meilleure association ? Jack l'avait-il fait exprès, ou bien avait-il naturellement bon goût ?

Sa tête se redressa pour mieux réfléchir face à l'horizon qui leur offrait un saisissant soleil couchant, bercé par le bruit des vagues qui venaient mourir sur le sable fin.

Plus cliché, on en mourrait.

La tête de Yara pivota juste assez pour entrevoir Jack dans son champ de vision. Elle était tiraillée entre ce qu'il lui fallait taire et ce dont elle devait s'assurer, mais pour le moment, elle faisait le choix d'une autre voie. Une trêve de Noël, après Noël.

Jack ne lui en voudrait pas pour ça.

« Force est d'admettre que t'as progressé », commença-t-elle, avant de finalement se tourner complètement vers lui. À la lumière du soleil couchant, son regard s'adoucissait presque à vue d’œil. Ou peut-être était-ce le va-et-vient des vagues qui donnait cette impression. Quoiqu'il en soit, Yara paraissait plus apaisée, loin de Crowley et du tumulte de la ville. « C'était donc ça, que tu faisais pendant tes vacances ? Peaufiner ta technique de drague ? », demanda-t-elle sans vraiment attendre de réponse cette fois-ci.

En quelques pas, elle brisa la distance qui les séparait. Elle posa l'écrin sur un rocher qui, par chance, se trouvait juste là et prit le collier par ses deux extrémités, invitant ouvertement Jack à le passer autour de son cou.

Tant pis si le bijou était une balise qui lui permettrait de suivre sa trace à chaque instant. Pour le moment, sa position géographique n'était pas un secret.

Tant pis s'il était ensorcelé pour venir l'étrangler instantanément.
Au moins, elle mourrait près de l'océan.

Parce que oui, en un laps de temps aussi réduit, ces deux hypothèses l'avaient déjà effleurée.

ft.  @Yara Morães De Carvalho

« Y a personne », mais Yara ne l’écouta pas, et la fin de sa phrase se mourut dans le vortex de magie et de poussière qui se forma là où ils étaient juste avant.

Quand Jack réapparut, le parfum de sel du vent marin le frappa. Comme n’importe quel chasseur qui ignore où il est, l’américain se tendit sous sa veste de cuir. Par réflexe, son regard balaya tout autour de lui, le forçant à jeter un oeil derrière lui. Angle mort vérifié, la crique était tranquille, loin de tout, discrète.

Le Chasseur reposa son regard sur Yara dont la main était toujours sur son bras. Il lui jeta un oeil, au même moment elle se retirait avec le cadeau. Jack ne bougea pas d’un pouce. L’air sérieux, il la suivit comme on suit une proie, sans la lâcher un seul instant. Elle lui tournait le dos, comme s’il ne pouvait rien lui faire. Comme s’il ne pouvait pas la blesser.

Une balle dans la tête aurait pu faire taire tout ce qui se tramait en lui pourtant. Ça aurait fait taire les questions et les impatiences. Il ne faisait pas bon d’avoir ce genre d’attentes vis à vis de quelqu’un d’autre. Trop d’emmerdes. Il n’allait pas attendre toute une vie qu’elle se fasse mordre ?

La silhouette de Yara se découpait, comme une ombre chinoise devant le soleil couchant. La lumière formait un halo divin autour d’elle, donnant à ses formes quelque chose de plus irréel, de presque... ésotérique.

Il l’avait sauvé. Il l’avait sauvé car il ne voulait pas qu’elle meurt. C’était bien la première fois que Jack agissait de la sorte, et ce n’était pas pour ses beaux yeux, car des jolies et des princesses, il en avait déjà éventré une bonne quinzaine. Des louves, des vampires, des vélanes et des succubes. Il n’était pas un chien, pas soumis aux mêmes mécaniques chimiques, pas aux mêmes désirs qui rendaient débiles certains hères.

Alors pourquoi ?

Le Chasseur ravala sa salive, relevant légèrement le nez alors qu’elle se retournait.

Est-ce qu’elle allait se moquer de lui ?

Peut-être qu’il aurait dû lui rapporter un collier avec une laisse.

Peut-être qu’il aurait dû lui rapporter du vent, car c’était ce qu’il y avait entre eux.

Un fossé, un silence, une absence.

Ils ne se connaissaient pas, et il avait décidé de faire un pacte moisi, par caprice. Par une sombre volonté. Parce qu’il avait du sang de gosse sur les mains, parce qu’il avait l’impression que tout lui échappait et qu’il avait besoin de s’accaparer certaines choses, pour se donner une raison de croire qu’il était encore maître de son destin.

Ah, il était beau le Chasseur qui lui avait fait la morale.

Un beau fils de pute, oui, comme il l’avait dit à Tyler.

Un fils de pute de Deschain.

Jack croisa le regard de Yara. Son profil désormais le fixait, le scrutait. Elle semblait réfléchir à l’attitude à adopter. Il cilla, plissant les yeux, alors qu’elle approchait finalement de lui. Il releva de nouveau le menton, donnant l’impression de la toiser. C’était à cause du frisson désagréable qui lui avait remonté l’échine au moment où elle avait parlé de vacances et de drague.

L’américain ne draguait pas, jamais. Il n’avait pas besoin de ça. Pas besoin des filles. Il avait connu une éternité de branlette sauvage dans les plaines américaines, et après s’être astiqué pratiquement toute son adolescence, il en était arrivé à se dire que ce n’était finalement pas le truc le plus incroyable de sa vie.

Est-ce que ça valait une bonne clope après une bagarre dans un bar, à cinq heures du matin, ivre mort ?
Est-ce que ça valait le fait de ressortir des douches de la vieille prison d’Alkatraz, après avoir couché pas moins de cinq mecs ?

La violence était bien plus douce, bien plus palpitante.

Et pourtant, pourtant, il se trouvait déconcerté face à Yara.

« C’est pas de la drague, j'ai plus quinze piges » se défendit-il, même s’il n’ignorait pas que c’était du vent, que ça en avait tout l’air. Il continua alors, non pas catastrophé qu’elle ne le croit pas, aussi sa voix resta mesurée, posée : « je t’ai dit que j’te ramènerais un cadeau, je l’ai fait. Parce que je tiens toujours ma parole. »

Même si ça devait lui coûter, pensa-t-il.
Cinq ans de prison, ça avait été long, mais Bolton avait eu ce qu’il méritait et ce qu’il avait juré qu’il lui ferait, après tout.

Il la fixa un petit moment, en silence, avant de finalement acquiescer à ce que son regard demandait.

Il lui avait fait la même. Il avait réclamé sa présence. D’une certaine façon, son assistance. Comme un pauvre chien qui réclamerait une caresse.

Un clebs en mal d’amour - voilà de quoi il avait l’air ces derniers temps. Du moins il le supposait, car il avait presque eu l’impression que Tyler avait eu pitié de lui. Enfin, pitié... Non, c’était autre chose, une chose sur laquelle il n’arrivait pas à mettre de mot.

Un clebs en mal d’amour, ça lui correspondait bien, dans le fond.

Si John Deschain voyait ça, il l'aurait sans doute roulé de coups.

Toutes des putes, forcément.

Il décrocha la cigarette de ses lèvres, l'écrasa à l'intérieur de sa main dans moufter. L'habitude. Servir de cendrier, ça lui rappelait des souvenirs mais ça faisait longtemps qu'il n'avait plus mal. Il enfonça le mégot dans sa poche, pour ne pas ruiner la plage.

Jack leva les mains, attrapant calmement le collier. Son coeur avait vrillé un peu dans sa poitrine, battant légèrement plus fort, mais ça ne l’arrêta pas, ni ne le déconcerta davantage. Son sang-froid était à toute épreuve après tout.

Il fit ce qu’elle attendait de lui ; il se pencha juste un peu, la tête sur le côté pour observer la gorge qu’elle lui offrait. Fort heureusement pour l’américain, il avait de la dextérité et ne mit pas longtemps à glisser le crochet dans le fermoir délicat. Miss Tiffany n’avait pas menti : le collier était beau, et sur la peau légèrement halée de Yara, il lui semblait que l’or ne jurait pas mais sublimait au contraire la gorge fine de la jeune femme.

Son regard s’y perdit un moment, avant qu’il ne retire lentement ses mains, sa paluche droite glissant à même la peau pour en sentir la chaleur, le grain, la douceur. Il repéra pour la première fois le tatouage. Heureux hasard.
Ou pas.
Peut-être qu’elle le prenait pour un chien vicelard maintenant.

Un sourire satisfait ourla les lèvres de Jack, alors qu’il la toisait de nouveau de toute sa hauteur après s’être redressé.

Il la scruta encore quelques minutes, avant de conclure :

« J’ai le Loup autour du cou, tu as le Berger. Un collier chacun, ça m’semblait juste. »

Bien sûr, ça ne valait pas le sacrifice de Yara qui lui avait offert sa vie, mais il ne préféra pas faire un commentaire de plus.