Beginning of the end - ft. Jack Deschain

ft. @Jack Deschain


Il était sérieux. Un peu trop, ne put-elle s’empêcher de penser dans un coin de sa tête. Mais quoi de plus normal devant une attitude qui passait du chaud au froid en une seconde de temps. Et puis, quelle idée curieuse que de se risquer à un trait d’humour dans un moment qui avait pris une tournure plus que solennelle à l’instant même où ils avaient posé les pieds sur cette plage, loin de tout.

Elle aurait mieux fait de d’abstenir, encore une fois. Garder son air désinvolte et même lui balancer son cadeau au visage, comme elle l’aurait probablement fait avec n’importe qui. Pour ne pas prendre de risque, parce qu’on ne savait jamais.

Oui mais voilà : tout portait à croire que Jack Deschain n’était plus vraiment n’importe qui.

Aucun commentaire ne franchit ses lèvres néanmoins. Pas même un sourire amusé. Car en dire plus, ou ne serait-ce que réagir, c’était en rajouter une couche sur ce toujours appuyé par la voix rauque de Jack, et que Yara, elle, était plutôt adepte des jamais.

Là encore, la scène trouvait aisément son reflet dans le passé. La chaîne d’or qui caressait son échine lui rappela cet instant suspendu où elle avait accroché le résultat de leur pacte de sang autour du cou de Jack, comme un symbole. Sa peau à quelques millimètres seulement de la sienne. Comme pour lui dire sans esquisser un seul mot : tu devras vivre avec ça maintenant, que tu le veuilles ou non. Constamment. Et alors qu’il accrochait le fermoir dans une dextérité peu étonnante et d’une rapidité frappante, tout s’éclaircissait.

Yara comprenait tout à coup que ce cadeau était un moyen de lui retourner la pareille, à demi-mot.

Une partie d’elle, dominante, se doutait néanmoins qu’il n’y avait pas que ça. La magie du pendentif pénétrait les pores de sa peau dans un flux de chaleur singulier qui s’étendait progressivement à tous ses membres. Elle était louve, et son rapport à l’intangible en était décuplé. Tout était plus clair depuis que le masque était tombé. Même s’il lui était encore impossible de lire dans les pensées.

Pourtant, ça l’aurait probablement aidée à y voir plus clair dans les intentions de celui qui lui faisait face. Ce collier était-il ensorcelé ? À quelles fins ? Était-ce lié à sa discussion avec Crowley, un peu plus tôt ? Et puis pourquoi se posait-elle tant de questions, quand le sens profond des réponses qui lui étaient apportées comptait si peu d’ordinaire ?

« Mais ça n’est pas un simple collier », glissa-t-elle comme le corps d’un serpent sur le sol.

Yara n’était pas du genre à y aller par quatre chemins. La diplomatie, ça n’avait jamais été son fort, pas plus que ça ne l’avait déjà aidée à arriver à ses fins. Alors pourquoi s’embarrasser de politesses et de faux-semblants quand on pouvait juste poser la question ?

Sauf que Yara n’était pas non plus du genre à se plier aux codes de la délicatesse et à se contenter de peu. Quand elle se sentait en danger, elle était plutôt du genre à montrer les crocs, d’autant plus maintenant que ses canines pointues pouvaient avoir leur utilité. Une leçon que lui avait enseignée Eva Baxter, au Ministère, avec ses dents taillées pour tuer.

D’un geste rapide secoué par une vive impulsion, elle pivota vers Jack et se jeta littéralement sur lui, appuyant tout le poids de son corps pour le faire chuter sur le sable froid et profiter de l’effet de surprise. Dans l’intervalle, sa lame d’argent sagement cachée dans ses bottes en attendant son moment avait glissé entre ses doigts pour se retrouver pointée sur la jugulaire du chasseur. Sans la moindre intention de le blesser toutefois — sauf si ses réponses n’étaient pas satisfaisantes.

L’art du corps à corps n’avait aucun secret pour la Brésilienne. Des heures à pratiquer la capoeira dans le grand salon vide de son appartement londonien, pour garder la maîtrise de cet avantage sur les sorciers qui n’avaient d’yeux que pour leur baguette magique. Ça lui permettait seulement de l’immobiliser quelques secondes à tout casser, le temps de faire le point sur quelques détails qui n’en étaient pas vraiment. À califourchon sur le bas du ventre de Jack, les bras placés de sorte à immobiliser les siens, la chasseuse ne faisait pas cas de la subjectivité de cette position dans ce décor idyllique.

« Ce n’est pas un simple collier », répéta-t-elle en guise d’introduction à ce qui suivait. La lame effleurait sa peau. « Ça ne peut pas être un simple collier. » Parce qu’il n’avait aucune raison de lui faire un cadeau pour le plaisir d’offrir. Personne ne l’avait jamais fait avant lui, il ne serait pas le premier. « Dis-moi quels sont ses effets. Tous ses effets. »

Il n’y avait aucune certitude derrière cette demande énoncée dans un grognement, en dehors de la magie qui semblait transpirer du joli pendentif doré. À peine une vague impression que Crowley pouvait être derrière tout ça. Un semblant de paranoïa, justifié après ce qu’elle avait vécu.

Un instinct de survie décuplé, depuis qu’on l’avait trahie une fois puis deux puis trois, et qui se devait d’être sur le qui-vive constamment pour lui épargner la quatrième.

Sous peine de laisser l’histoire se répéter indéfiniment.

ft.  @Yara Morães De Carvalho

Il n’avait fallu que quelques secondes à la louve pour se rendre compte de la duperie – de la supercherie, même. Le Chasseur ne cilla pas, ni n’eut un sourire. Il resta seulement là, le visage sérieux, les yeux posés sur le visage de Yara, tentant de comprendre ce qui se tramait en elle. C’est que depuis le début, il ne savait pas à quoi s’attendre d’elle. Impulsive comme ceux de son espèce, il lui semblait qu’avec elle, il n’y avait jamais de demi-mesure. Ses sentiments étaient des bouquets explosifs, et ça la rendait jolie.

Mais elle n’exultait pas. Sa joie s’était éteinte aussitôt qu’elle avait compris. Jack se fit la réflexion qu’il n’aurait peut-être pas dû faire ça. Ce n’était peut-être pas ce qu’elle attendait de son Berger. Du Berger qui avait réussi à apprivoiser la fille-louve pour défendre le troupeau contre les vrais loups. Il n’avait pas résisté quand Miss Tiffany lui avait dévoilé tout le large panel d’enchantements possibles. C’est vrai qu’il s’était dit que c’était peut-être de trop. C’était ce genre d’enchantement qu’on trouvait dans les bagues de fiançailles, dans les bracelets de famille.

Pourquoi lui en offrir un, alors ?  

La louve devait se poser la même question.

Le Chasseur allait répondre, détournant le regard, quand la louve se jeta sur lui. La surprise l’emporta sur tout autre réflexe, et il se retrouva bien vite sur le dos, dans le sable, la chasseresse au-dessus de lui. Son cœur accéléra rapidement, sans qu’il ne sache si c’était une excitation dû à la position ou l’adrénaline qui avait secoué un petit instant sa carcasse morne.

Ses yeux glissèrent du visage de Yara jusqu’à la lame qui pointait dangereusement sur sa jugulaire, et de la lame jusqu’à de nouveau son visage.

Jack aurait pu émettre un grognement, ou simplement s’énerver, mais au lieu de ça, il semblait parfaitement détendu. Il ne doutait pas une seule seconde que sa vie n’était pas en danger. Il mettait cela sur son instinct qui ne se trompait pas. Il avait déjà vu des centaines de fois la folie et la colère dans le regard des hommes. Il avait observé avec attention les yeux d’Andy Bolton lorsqu’il l’avait torturé, des heures durant, pour le seul plaisir de n’en laisser qu’une coquille vide.

Yara n’avait pas ce regard – et sa lame d’argent n’était faite que pour les monstres.

Le Chasseur eut un sourire amusé à sa propre pensée : n’était-il pas un monstre, lui aussi ?

Il ravala sa salive, sentant la pointe de la dague lui effleurait la pomme d’adam.

« Tu as peur », lâcha-t-il, du tac-au-tac, après qu’elle eut réclamé de tout lui révéler.

Il jouait sur un fil dangereux, mais ce n’était pas la première fois. Un frisson agréable remonta dans son échine car la position lui faisait quelque peu oublier que la louve avait sa vie sur le bout de son cure-dent. Il suffisait d’un mauvais geste pour qu’il y reste…

« Tu as peur de savoir ce que ce collier fait… » recommença-t-il, scrutant avec insistance le visage de la fille-louve. « Est-ce que tu imagines que… » Il plissa les yeux, tentant de percer le mystère, avant de finalement avoir un large sourire moqueur, en pensant avoir compris où elle voulait en venir : « Tu me sembles très attachée à ta survie pour quelqu’un qui me suppliait presque de lui exploser le crâne il y a quelques jours encore… »
Son sourire se fit malicieux.
« Est-ce que je t’aurai inspiré à vivre ton présent pleinement ? C’est bien la première fois que je fais cet effet… »

Il plissa doucement les yeux, sa main s’extrayant, remontant doucement sur la cuisse de Yara comme un serpent lent.

« A moins que ça ne soit qu’un prétexte pour te retrouver au-dessus de moi ? » Il observa de nouveau sa réaction, avant de continuer, moqueur toujours : « Si tu restes comme ça, c’est toi qui risque de me faire de l’effet… »

Et la dague n’y pourrait rien. Ce n’était pas la première fois qu’on pointait une arme sur lui, sur sa gorge, sur sa tempe, et pas la première fois que ça serait le début d’une longue nuit…

ft. @Jack Deschain

Il resta un moment interdit, comme s’il ne savait plus bien quoi penser de tout ça. Et comment lui en vouloir ?

Toujours perchée au-dessus de lui, Yara, elle, ne bougeait pas non plus. Dans cette posture de domination, son sang d’alpha s’animait, réchauffant ses veines partout où il s’écoulait. Jack était si près qu'il devait le sentir à travers leurs vêtements d'hiver. Même le vent qui soufflait autour d'eux, balayant les embruns, ne pouvait rien contre l'incendie qui la ravageait.

Pourtant, elle ne s’énervait pas. Mieux encore ; elle retrouva très vite tous les bienfaits d’un sourire provocateur et insidieux, à l'image de sa voix.

« Ça te ferait bander, pas vrai ? », demanda-t-elle en riant, mais sans rire vraiment.

Jack la menait sans le savoir sur un terrain qu’elle maîtrisait bien. Combien d’hommes avaient espéré susciter cette émotion chez elle, avant de repartir la queue entre les jambes ? Devant la Peeira, il était vrai qu’elle avait plus que tressailli. Et lorsqu’il avait été question de mettre fin à sa vie, aussi. Mais la liste s'arrêtait là.

« Ça fait des années que j’ai plus peur, Deschain. Pour avoir peur, il faut avoir quelque chose à perdre. J’ai rien de tout ça sous la main, parce qu’ils m’ont déjà tout pris. »

Ils. À vrai dire, surtout un. Leandro lui avait arraché le cœur le jour où il avait tué ses parents devant ses yeux, renonçant à sa vie pour mieux la torturer. Ni plus, ni moins.

Maudit serait celui ou celle qui s'y risquerait à nouveau pour détruire ce qu’il restait.

Ne lui restait plus qu'un fragment d’âme égaré.

« J’ai pas peur de mourir. Si je dois crever — et bien vas-y, je t’en prie. Je te laisse une dernière chance. »

Son ton était étonnamment calme en de telles circonstances, surtout pour quelqu’un qui tenait en joug un autre être humain. Bientôt, sans bouger le reste de son corps pour autant, sa lame renonçait à trancher sa veine jugulaire pour s'enfoncer dans le creux de la main de Jack. Le visage de Yara s'approchait encore un peu plus du sien pour le mettre en garde.

« Mais si tu refuses toujours de viser le cœur ou de me le pointer sur la tempe, ton putain de Smith & Wesson, alors sache que je ne me contenterai pas de survivre en attendant que tu te décides à le faire dans mon dos. J’ai pas le temps ni l’envie de jouer. Pas à ce jeu-là. Si je dois crever, je veux que ce soit pour les bonnes raisons, celles qui font que je suis encore en vie aujourd’hui, celles qui font que tu m’as convaincue de continuer. Pas parce que Crowley s’ennuyait au Ministère ou parce que tu manquais de divertissement. »

Ça avait le mérite d'être clair et ça faisait du bien de le dire à autre voix. Yara ne parlait pas beaucoup, voir se contentait bien souvent du minimum. Chasseuse hors-pair, elle n'avait pas besoin de s'exprimer beaucoup, juste de viser là où il fallait, quand il fallait. Et la plupart du temps, ça suffisait.

Aussi, voir son quota de mots journaliers dépasser la moyenne habituelle n'était pas forcément de bonne augure, et ce même si elle avait repris une distance satisfaisante de son visage.

Là où la chaleur de son souffle ne pourrait plus la trahir, même s'il restait encore ces foutus battements de cœur pour soulever sa poitrine dans un va-et-vient irrégulier.

« Alors, tu me réponds ou tu me plantes, Red Dust ? »

Deux choix s'offraient à lui, restait à savoir s'il confirmerait le premier qu'il avait fait.

ft.  @Yara Morães De Carvalho

Un ricanement passa sur les lèvres de Jack. Il avait beau être en dessous, il n’était pas défait pour autant. Il ne pouvait pas l’être, car il ne prenait pas au sérieux la louve. Elle avait trop besoin de lui vivant, pour faire ce qu’elle ne pouvait pas faire.

« Il faut un peu plus que ça pour me faire bander, pet* », souffla-t-il, les yeux rivés dans les siens. Sérieux. Difficile de dire si c’était de la provocation ou la vérité.

Les lippes ourlées se firent lisses, alors que le Chasseur se fit sérieux, concentré. La dague était toujours trop proche de sa gorge, et lui, à l’affût de la moindre variation dans le souffle de Yara, de la moindre oscillation curieuse de ses yeux. Si sa respiration semblait constante, il sentait des sentiments naître en elle.

Il aurait pourtant juré qu’elle avait peur de lui, quelques instants auparavant.

Peur de connaître ça encore une fois. La défaite, la trahison, la perte.

Il aurait pu lui dire, s’ils avaient été plus proches, que lui aussi avait beaucoup perdu au cours de sa vie. En fait, il avait même tout perdu. Billy, son grand-frère, son modèle. Bud, son cheval avec qui il n’avait jamais réussi à s’entendre vraiment. Mercy, la seule petite blonde qui avait bien voulu s’approcher de lui et qui lui avait fait confiance, «pour changer de vie». Et même son enculé de père avait bien fini par rejoindre les racines de quelques pissenlits, après avoir passé une vie entière à bouffer tous les culs du sud américain.

Il aurait pu, mais il ne le fit pas. Au lieu de ça, il fronça les sourcils, plissant le nez, lui donnant un petit air courroucé que Yara ne lui connaissait pas. Pas encore.

C’est que Jack n’avait pas besoin de s’énerver d’ordinaire. Même dans le feu de l’action, il était généralement égal à lui-même, mesuré, implacable même. Une porte de prison aurait eu plus de réactions, que ce fut face à une menace ou à une blessure. Comme si rien ne pouvait plus l’atteindre.

Mais cette petite idiote de Yara, elle commençait à réussir à l’agacer, à le chatouiller, à le secouer là où il préférait qu’on ne l’effleure pas.

Elle ne savait pas combien elle avait de la chance.

Andy Bolton avait hurlé grâce quand il l’avait éviscéré, il avait gueulé et appelé tous les dieux de la terre quand il l’avait scalpé, et alors il avait même frôlé quatre fois la mort quand il s’était attaqué à son visage. Ce n’était pas facile de dépecer un homme vivant. Pas facile de retirer ce masque de chair pour voir quel genre de monstre il y avait derrière. Et Jack avait fini le travail. Il n’avait pas cédé.

Andy Bolton avait désiré vivre, et il l’avait tué.

Et Yara... Yara, qui avait tant voulu mourir, qui s’était déjà vu s’enfoncer dans l’humus chaud, elle vivait.

L’univers était bien étrange.

La voix sèche de la chasseuse réveilla l’américain.

Red Dust, puisqu’elle aimait tellement ce sobriquet, releva sur elle un regard terrible. Prédateur.

Sa main droite mima une tentative de la repousser. La louve le vit, vint pour bloquer, mais c’est en réalité la main gauche qui lui attrapa brutalement l’épaule et la fit pivoter sur le côté, inversant totalement les positions. Il avait écarté assez rapidement le visage, mais il savait pertinemment qu’au vu de la dextérité de la louve, il ne pouvait y échapper.

La douleur fut fulgurante ; la lame avait traversé le visage de Jack, de l’arrête du visage jusqu’à son oreille. Une simple ligne rouge, qui laissait échappé désormais un filet épais de sang. Il avait bien senti la pointe de la lame lui frôlait les molaires - autant dire que ça devait être profond.

Aussi profond que le canon du Smith et Wesson enfoncé sous le menton de Yara.

Un grognement s’échappa de sa gorge, chaud, aussi chaud que le sang glissant le long de sa joue, gouttant rapidement sur le visage de la louve.

Jack était plus grand que Yara ; il la surplombait, entre ses cuisses. Sa main droite appuyait fermement le canon contre son épiderme ; le collier d’or brillait, et la chaînette fragile avait réussi l’exploit de ne pas lâcher face à la pression. Sa main gauche, quant à elle, coinçait la main de Yara, lui permettant d’éviter un coup de dague malheureux, et au passage de garder de la distance avec la louve.
Distance illusoire. Leurs deux bassins étaient bien trop proches à son goût.

La douleur irradiait son visage, la blessure était profonde mais le Chasseur n’en fit rien.

« Arrête de me prendre pour un con, j’ai horreur de ça », souffla-t-il, tentant de ne pas ouvrir de trop sa bouche, car à chaque fois qu’il osait, une gerbe de sang tombait sur Yara en dessous. « J’ai donné mon sang pour que tu vives et tu... », un grognement se fit entendre, une grimace douloureuse tordant un instant son visage, mais il semblait que rien ne pouvait le faire lâcher, malgré qu'on pouvait presque voir ses dents à travers la plaie lorsqu'il articulait, hargneux : « ...me dois la vie. Tu m’as donné ta mort, à moi, et à moi seul. Pourquoi est-ce que tu me casses les couilles avec Crowley ?! » Un nouveau grognement. Plus elle lui parlait de Crowley, plus il la voyait avec elle. Plus il imaginait quel genre de jeux ils avaient pu avoir ensemble, en dix ans, au Ministère. Est-ce qu’elle s’était bien amusée ? Il serra les dents - c’était douloureux, encore plus qu’avant. Il sentait sa joue s’engourdir. « Tu voulais un cadeau, en or. T’as un cadeau en or. Pourquoi tu m’emmerdes ? Tu veux absolument que je te trucide ? Que je veuille te baiser et te buter, comme les autres ? Tu crois franchement que j’prendrais le temps de te sauver pour mieux te poignarder dans le dos ? J'suis un fils de pute mais j'ai pas l'temps pour tes jeux, Yara. Si j'avais envie de te buter, ta putain de cervelle serait déjà sur le sable. »

Ca n’avait aucun putain de sens - pour lui.

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* Pet : Le fait d’appeler quelqu’un « pet » n’a rien de méprisant, bien au contraire. C’est une expression amicale que l’on emploie en fin de phrase dans le nord-est de l’Angleterre : « How you doing, pet?  »

ft. @Jack Deschain


La bascule n’allait plus tarder. Cet instant suspendu où tout changerait, où les rapports de force s’inverseraient. Le moment précis où Jack Deschain perdrait patience allait enfin arriver.

Un point de rupture.

C’était tout ce que Yara avait attendu, précisément parce que c’était exactement ce qu’elle avait cherché. La provocation, c’était son aire de jeu, son unique salvation, et rien au monde n’avait plus de saveur dans son palais qu’une proie ou qu’un semblable qui finissait par tomber dans ses filets, répondre à ses piques, perdre son sang-froid. Lui donner ce qu’elle voulait, en somme, mais sans la délester de tout le plaisir de la lutte pour l’atteindre.

C’était cette bascule terrible qui la faisait jubiler, mais seuls ceux qui prétendaient la connaître savaient à quel point. D’ailleurs, la plupart ne s’y risquait plus, sauf quand ils aimaient jouer. Eurion, pour ne citer que lui. Et le peu de personnes que Yara avait laissé entrer dans sa vie.

Jack était le petit dernier, il ne savait pas encore ; il jouait son jeu sans en avoir pleinement conscience. Ou se pouvait-il justement qu’il sache exactement ce qu’il faisait  ?

À sa grande surprise, pour une fois et malgré l’expérience, Yara ne l’avait pas vu venir. Les yeux du chasseur s’étaient pourtant obscurcis, son regard avait changé d’un coup. Tous les signes étaient là pourtant, mais quelque chose chez lui l’avait suffisamment distraite pour qu’elle ne les remarque pas. L’attente d’une réponse peut-être ? Ou bien la volonté secrète d’entendre sa voix lui dire qu’il ne la trahirait pas, qu’il ne la vendrait pas, qu’il n’était pas là pour ça ? La colère avait beau avoir pris le pas sur ce calme à toute épreuve qu’il affichait — Yara n’avait même pas eu le temps de s’en délecter qu’elle se retrouvait à sa merci, un canon braqué sur sa gorge. Non sans lui avoir laissé au passage de quoi le regretter — si tant est que Jack Deschain était capable de regretter quoi que ce soit.

Sa lame d’argent lui avait dessiné un deuxième sourire sur le visage, faute de voir l’autre apparaître. Mais très vite, la plaie s’était mise à pleurer, et le sang de Jack vint maquiller la peau terne de la chasseuse. Des mêmes effluves qui la poursuivaient depuis plus d’une semaine et dont elle ne prit même pas la peine de se débarrasser bien qu’elles emplissaient tous ses sens.

Ces deux-là se ressemblaient trop pour qu’il en soit autrement. Ou peut être étaient-ils justement trop différents ?

Quoiqu’il en soit, sous le poids de son corps grand, fort, Yara ne bougeait pas. De la même façon que Jack avait senti qu’elle ne lui ferait rien, elle lisait dans son regard courroucé ce qu’il s’apprêtait à dire.

Alors, elle l’avait laissé parler. Et après qu’il eut terminé sa tirade, elle garda volontairement le silence flotter entre eux un peu plus encore.

Il avait raison et ça lui coûtait de l’admettre. Elle aurait pu être davantage convaincue — si seulement il avait répondu à sa question. Mais faute de mieux, le doute subsisterait encore ; et si elle renonçait pour ce soir, Yara se jurait intérieurement d’avoir le fin mot de cette histoire et de révéler les secrets de ce collier au moment opportun.

« Burro », murmura-t-elle finalement dans sa langue natale, ses yeux clairs rivés dans les siens.

Ils semblaient le défier encore d’appuyer sur la détente, de ne pas se retenir. Mais il ne cédait pas. La balle d’argent restait sagement contenue à l’intérieur du chargeur.

La raison profonde lui échappait. À ses yeux, il n’y avait toujours eu qu’une seule alternative. Et pourtant, n’avait-elle pas fini par se laisser amadouer par un Cynfeirdd ?

La louve ne se débattait pas, pas plus qu’elle ne cherchait à s’arracher de l’emprise du Smith & Wesson. Sa cage thoracique se soulevait au rythme de ses respirations, de moins en moins rapprochées, de moins en moins saccadées. L’animal en cage semblait peu à peu perdre de sa vigueur. Était-ce la lassitude, la fatigue ou bien la nécessité de se débarrasser du sang qui obscurcissait par moment sa vision ?

Le collier de Jack passait de gauche à droite devant son champ de vision. Bizarrement, ce mouvement de balancier l’hypnotisait. Comme pour lui redonner la raison qu’elle avait perdue.

Si elle pensait avec tant de force qu’il allait la trahir, pourquoi ne pas simplement le tuer maintenant, sur le champ ?

C’était là la vraie question.

Dans son sillage, il y avait un monticule de cadavres, mais il y avait aussi quelques noms qui lui avaient toujours échappé.

« T’es peut-être pas un fils de pute, mais putain t’es vraiment con », l’insulta-t-elle à nouveau, gratuitement, faute d’arguments convaincants.

À sa voix, on aurait presque pu croire qu’il était tiré d’affaire même si elle ne renonçait pas à obtenir une réponse à sa question — et quand bien même elle ne répondait à aucune de celles qu’il venait de lui poser.

Elle avait la tête dure, Yara.

«  Bien. Si tu comptes pas tirer alors, et que "ma putain de cervelle" ne finit pas en feu d’artifice pour ce soir… j’aimerais autant que tu ne te vides pas de ton sang sur moi. Parce que c’est un enfer à faire partir une fois que les vêtements sont tachés et en plus de ça, le vrai cuir de veaudelune c’est très dur à nettoyer. »

C’était une façon comme une autre de lui faire entendre qu’elle voulait le soigner.

Car la position en elle-même n’était pas désagréable — le souvenir de sa main sur sa cuisse un peu plus tôt aurait d’ailleurs eu de quoi la faire tressaillir — mais c’est qu’il était salement amoché.

Et quoi qu’on pouvait penser d’elle, Yara nettoyait toujours ses méfaits.

ft.  @Yara Morães De Carvalho

Con – sans doute qu’il l’était, mais ce n’était pas la peine d’enfoncer le couteau dans la plaie. Un petit grognement ponctua une grimace. La pression faite sur le Smith et Wesson était en train de mourir, alors qu’il la fixait toujours d’au-dessus.

De nouveau sérieux, le Chasseur écouta le laïus de la louve, non sans une moue méprisante.

T’es vraiment une chieuse ma parole, pensa-t-il sans le dire, car il commençait à sentir sa mandibule le brûlait.

Non sans un dernier râle, Jack se recula, relâchant la main de la sorcière et rangeant l’arme d’argent dans son holster, à la base du dos du chasseur.

Il sembla que ses yeux allaient chercher le bas de son visage, et il le tâta du bout des doigts. C’était chaud et douloureux. Encore à genoux dans le sable, il pencha la tête en sentant la douleur serpenter jusqu’à sa tempe. Un tel truc aurait fait s’évanouir n’importe qui, ou aurait au moins déstabilisé n’importe quel mec, mais Jack en avait tellement pris qu’il se demandait même ce qui aurait pu le tuer.

John lui avait demandé un jour.
Et si je te défonce le crâne avec un marteau et les jambes avec une masse, tu continuerais à rampe, pas vrai ?

Une crevure pareille, increvable.

Le regard de Jack suivit Yara, restant silencieux alors qu’elle approchait sa baguette de son visage. Toujours à genoux dans le sable, il l’observait du coin des yeux, plissant le nez quand la sensation de sa chair se reformant le piquait. Cela aurait fait hurler n’importe quel hère, mais Jack avait l’habitude. C’est ce qu’il disait. Il relativisait toujours, en se disant que la douleur n’était qu’une simple information.

Parfois il se demandait si John n’avait pas réussi à lui faire sauter un câble là-haut, quelque chose appelée « instinct de survie », pour celui qui aurait traversé le brasier s’il se sentait seulement de le faire.

Parfois aussi, il se disait qu’il avait simplement de la chance. Combien serait mort à faire ce qu’il fait ? Billy était mort lui, et pourtant il n’était pas meilleur chasseur que Billy. John lui avait dit un jour que ce n’était pas les meilleurs qui vivaient, mais que c’était parce qu’on était encore vivant qu’on était meilleur. Jack refusait de croire en un monde où Billy était mauvais ou nul. Il avait fait une erreur, ce n’était pas de sa faute. Une erreur de positionnement. Une erreur toute petite, ridicule.

« Est-ce qu’il t’arrive de dire des trucs que tu ne penses pas ? » souffla Jack.

Il vit à la mine agacée de Yara qu’il la dérangeait. Qu’il ne devait pas bouger alors qu’elle était en train de lui refaire la face. Il continua pourtant :

« Moi pas. »

Yara avait eu peur, qu’elle le veuille ou non. Jack aurait pu y mettre sa main à couper.

Il la toisait, tournant le visage pour offrir davantage d’espace et une meilleure vision à celle-ci. Il jeta un œil vers la mer. Il ne restait du soleil que quelques rayons ; la mer l’avait avalé, accueilli dans ses bras froids. Jack ferma les yeux, les bras soudainement lourds, ballants de chaque côté de ses flancs. La colère l’avait quitté aussi vite que ça l’avait pris. Comme une envie de pisser.

« J’ai pas besoin de mentir. J’ai pas besoin de ces stratagèmes de pédé… », les yeux encore fermés, il avait l’impression de se parler à lui-même, comme s’il se faisait la réflexion ingénue qu’il n’avait jamais été ce genre de personne. Même quand son père le menaçait de sa ceinture ou de sa clé en acier, il lui avait toujours dit la vérité, au risque de se faire écraser par lui.
« Tu m’emmerdes », conclut-il, dans un grognement alors que sa joue le piquait vivement quand elle finissait de reboucher le second sourire.

La baguette désormais abaissée, il la fixa, encore à genoux.

Du sang, elle en avait partout sur le visage. Le sien.

Il sentit l’envie irrésistible d’y plonger sa bouche, de sentir sur sa langue le velours chaud, le goût du fer, et en même temps il sentait que sa carcasse était trop lourde pour ce genre de connerie. Il leva simplement la main, la posant sur son visage pour venir essuyer du pouce ses lèvres, en chasser l’hémoglobine.

Après ça, il retira sa main et se redressa, se relevant.

« Et tu mens mal » reprit-il, ses pensées ayant fait le tour de son cerveau. Il la coupa, reprenant rapidement : « mais soit, je vais faire comme si je croyais que tu n’avais surtout pas peur d’avoir de nouveau quelque chose à perdre. »

Jack la fixa, mais il n’était pas certain d’avoir parlé pour elle ou pour lui.

Il passa ensuite sa main dans sa barbe, en une grimace douloureuse, comme pour se remettre la mâchoire en place.

Dans un nouveau grognement, il sortit de nouveau une cigarette. Ce serait au moins nécessaire pour chasser ce goût de fer dans sa bouche, au moins un temps.

« Tu parles d'un merci toi... » grommela-t-il pour lui-même en sortant son zippo.

ft. @Jack Deschain


Jack ne bougeait pas. Pendant quelques secondes, sans doute rallongées par la langueur du silence qui les enveloppait, c’était à se demander s’il avait seulement envie de s’écarter.

Soit parce que l’idée de battre en retraite lui était insupportable. Soit parce que leur proximité avait aussi ce côté rassurant. Sécuritaire, malgré le sang  de Jack qui coulait dans un flux sans fin sur son visage. Malgré l’arme pointée sur Yara et qui menaçait de faire tomber une tête. Une de plus.

Mais le collier autour du cou du chasseur scellait une promesse réciproque et se rappelait à eux dans son doux mouvement de balancier. L’objet était là pour leur signifier qu’ils n’avaient rien à craindre l’un de l’autre et que rien de ce qu’ils pourraient intenter n’avait pour but de nuire à l’autre. Le problème, c’est que les chasseurs avaient la sale habitude de se méfier de tout et de tout le monde, et que certaines habitudes étaient du genre tenaces. À leur image, finalement. Ils avaient été formés pour ça et la vie s’était chargée du reste.

Finalement, l’embout de métal froid cessa d’appuyer sur la gorge de la lycanthrope refoulée pour lui octroyer à nouveau sa liberté de bouger sans s’attendre à ce que chaque mouvement puisse causer sa perte. Paradoxalement, pour beaucoup, ça n’aurait pas été une grande perte. Pour Yara non plus, à bien y réfléchir. Elle persistait et signait en totale inconscience, mais maintenant qu’il avait manqué sa deuxième chance, elle n’allait pas non plus se mettre à genoux devant lui. Une fois, au sens figuré, quand il avait fallu lui demander de la buter. Mais pas deux. Pour ce qui était du sens littéral, il pouvait toujours attendre.

Alors qu’elle se redressait et retrouvait l’usage de ses membres, ses jambes bougèrent à peine ; juste assez pour garder sa position assise tout en ayant assez de recul pour le soigner.

Il l’avait bien cherché. Mais dire que la vue de son visage ensanglantée la laissait indifférente aurait été un mensonge. Un héritage de ses parents médicomages qui lui avaient montré les gestes de premiers secours en plus de lui léguer une partie de leur vocation.

Les gestes de sa baguette étaient doux comme on le lui avait appris. Elle n’avait rien perdu de sa dextérité des jours où elle les accompagnait, dans leur petit cabinet de l’Ilha da Saudade. Mais la plaie de Jack était à vif, dévoilant une partie de l’intérieur de sa bouche. La lame avait touché les tissus profonds et la peau devait se reconstruire en un temps record alors forcément, c’était douloureux. Nettement plus que l’attitude de l’Americain ne le laissait à penser. Dès que Jack grimaçait, la chasseuse guérisseuse marquait un court mouvement d’arrêt, presque surprise qu’il ne se torde pas de douleur en l’insultant de tous les noms. Il était fort, résilient et résistant à la fois. N’importe qui en aurait été stupéfait. Yara s’efforçait de ne pas l’être.

C’était drôle quand on y pensait. Elle avait dessiné un deuxième sourire sur son visage là où il n’était pas censé se trouver, et elle cherchait maintenant à le préserver de la douleur. Un comble.

« Mariquinhas* », souffla-t-elle dans un murmure juste avant qu’il ne rompe le silence pour de bon, alors qu’elle venait de se dire qu’il était, justement, tout le contraire.

De manière générale, Jack ne la laissait pas indifférente. Sinon, pourquoi se serait-elle dirigée vers lui en premier lieu pour placer sa vie — ou plutôt sa mort — entre ses mains abîmées ? Il avait quelque chose que les autres n’avaient pas et si aucun mot ne convenait pour décrire ça, Yara n’avait rien d’autre à faire que d’accepter cet état de fait. En prenant bien soin, évidemment, de ne pas se poser de questions, et encore moins de se demander s’il ressentait la même chose — pour mieux se complaire dans l’idée que ça n’avait absolument aucune importance. Et c’était le cas, n’est-ce pas ?

Une voix grave l’interrompit dans ses gestes. Ce n’était pas un mal puisque quelques pensées en avaient profité pour s’enfuir, mais Yara lui lança un regard agacé, gardant le silence sur ce qui se tramait à l’intérieur. Pourquoi ne se contentait-il pas que l’orage soit passé, en attendant le prochain ? Tu m’emmerdes, pensa-t-elle au moment même où il lui glissa ces mêmes mots emplis de tendresse. Un sourire bref lui fut arraché avant qu’elle ne s’apprête à finir sa délicate opération. C’était encore rouge et gonflé mais au moins, ça ne saignait plus.

Justement, sur sa gueule d’ange, les traces de son sang séché persistaient et laissaient désormais à penser que c’était plutôt Yara qui avait besoin de soins. Mais contrairement à elle, il ne l’avait pas blessée. Seulement effleurée. Ce n’était pas le genre de geste qui pouvait causer une blessure profonde et pourtant, ça l’avait marquée plus profondément que certaines cicatrices, notamment celles qui balayaient son dos de part en part. Et quand son doigt entreprit une courte balade sur ses lèvres, c’était à se demander s’il n’était pas en train de faire le contraire en tentant de la réparer, d’effacer à son tour les traces de ses méfaits. Comment pouvait-on avoir une apparence aussi rustre et si bien cacher son jeu à l’intérieur ? Et en même temps, n’avait-elle pas succombé à la même stratégie que lui ?

Heureusement pour eux, le charme fut rompu au moment où il se permit d’émettre un avis tranché sur son jeu d’acteur, seule garantie de sa survie.  Yara souffla du nez et ouvrit la bouche pour répliquer alors qu’il s’éloignait déjà et l’interrompait immédiatement. Elle restait assise sur le sable dans une position nonchalante, ses bras à l’arrière de son corps, ses coudes en contact avec le sol comme un dossier, pour être plus confortable et sentir le sable froid de l’hiver glisser entre ses doigts. Elle s’imaginait déjà passer la nuit ici malgré le climat mordant du mois de décembre.

Le bruit du briquet résonna à ses oreilles comme une douce mélodie, signe que le calme était de retour au moins temporairement. Comme une accalmie dans un ciel sombre et menaçant. Son regard ne quittait pas la silhouette qui lui faisait face malgré l’obscurité qui les avalait peu à peu. Heureusement, la nuit promettait d’être claire.

« Et moi, je croyais que ça faisait partie d’un code. De ne pas montrer à quiconque ses faiblesses quand elles existent. Parce qu’une faiblesse devient un danger si elle est révélée et que le danger, on flirte suffisamment avec tous les jours pour pas en rajouter. »

Jack mieux que personne aurait du le comprendre. Un soupir s’échappa de ses lèvres et tout à coup, le poids du pendentif au creux de son cou se fit plus lourd — comme s’il voulait lui dire quelque chose. Ou bien était-ce juste une excuse ?

Les yeux roulant vers le ciel, la louve se leva à son tour. Après quelques pas qui l’amenèrent à dépasser le chasseur et à le toiser une fois qu’elle fut à sa hauteur, le bruit de ses bottes sur le sable lui fit réaliser que ce n’était pas naturel de fouler ce sol à travers une semelle. Elle ôta ses hautes chaussures et sentit aussitôt un courant d’air froid tapisser le dessus de ses pieds sans en faire cas.

La Brésilienne aurait dû être sensible à ces basses températures comme la plupart des gens qui partageaient sa nationalité, mais son sang lycan l’en avait toujours protégée. Aussi elle s’avança au plus près de l’eau, si près que les vagues glacées vinrent la saluer. Ses mains plongèrent dans le sel pour venir ensuite nettoyer son visage du sang de Jack qui la défigurait. Elle ne put s’empêcher de laisser aller sa langue sur ses lèvres pour sentir l’iode qui la recouvrait. Le pouce de Jack, en les parcourant, avait définitivement laissé une marque invisible.

Puis, elle remonta la plage pour s’arrêter à sa hauteur cette fois-ci. Sa tête se releva vers lui, de même que son regard qui cherchait le sien.

« Toi aussi tu m’emmerdes », lui précisa-t-elle sans sourciller alors que l’odeur de son parfum revenait au milieu de celle du sang sur leurs vêtements. Son accent ressortait quand elle était en colère. « Tu m’emmerdes parce que j’avais pas prévu ça. »

Ça. Lui. Le pacte. Cette façon détestable qu’il avait de toucher là où ça faisait mal, et celle encore plus insupportable d’avoir raison.


*chochotte

ft.  @Yara Morães De Carvalho

« Bullshit » vomit le Chasseur, l’air sombre.

Son regard glissa sur Yara, sur la douceur de ses courbes découpées dans la fraîcheur du soir. Le soleil était mort derrière elle, avalée par les eaux noires, et la lune irait le remplacer dans le ciel, et les étoiles danseraient autour de leur petite reine blanche.

« La faiblesse qui conserve vaut mieux que la force qui détruit. Quand on est immobile, rien ne pousse mieux que la peur… »

Il enfonça son visage dans ses mains, non pas pour se cacher, mais comme pour se réveiller d’un voyage qui aurait été trop long, trop fatiguant, trop usant.

« Les vieux chasseurs ont menti. Ils disent qu’il n’y a pas de bon chasseur avec une faiblesse, qu’un chasseur ne doit pas en avoir s’il veut vivre, et pourtant… », il prit le temps d’une pause, la fumée de sa cigarette remplissant l’espace de ses mains en coupole apposées sur ses propres yeux fatigués, « …pourtant on ne mesure sa force qu’en la confrontant à sa faiblesse. Si on se garde d’avoir des faiblesses, c’est peut-être que l’on ait faible finalement. »

Comme la fois où il n’avait pas réussi à sauver Mercy.
La preuve écrasante d’un manque de puissance, d’un manque de quelque chose. Il s’était fait surprendre, mais la Mort lui avait offert une seconde chance.
Et la Vie lui avait donné un fils.

Serais-je un bon père si je n’étais pas en mesure de protéger mon fils ?

Jack Deschain ne le saurait jamais, pas sans se confronter aux difficultés de la paternalité. C’était ce qu’il s’était dit après avoir réfléchi en long, en large et en travers à la question. Rejeter Jayson n’allait pas faire disparaître soudainement sa faiblesse. C’était être fort que de l’accepter, de l’embrasser, de le protéger. Et si le but du jeu de la vie n’était pas d’être ainsi, à quoi bon être un homme ?

Ses mains s’ouvrirent finalement, alors que Yara n’avait désormais plus de bottes, et partait doucement rejoindre les vagues glaciales et les remous blancs qui léchaient la plage. L’odeur du sel se mêlait au sang. Yara était belle. Belle comme ce qui est dangereux.

Etait-elle une faiblesse ?

Sans doute pas assez pour que Jack s’en rende compte. Pas assez, car il la tenait encore éloigné, encore à distance raisonnable de ce qui aurait pu être dangereux.

Ne pas se laisser lécher le corps par un fauve lui semblait une bonne idée.

Ne pas risquer la morsure, même adorable, même agréable.

Mais il ne se leurrait pas. Elle le deviendrait, tôt ou tard, car quand il la fixait ainsi, dans la douceur du soir les engloutissant, il ne voyait plus Yara, la collègue plutôt jolie du département, mais Yara, celle qui lui avait offert sa mort.

Yara et sa mort.
Yara sa morte.

Sa Yara.

Ce sentiment de possession le dépassait. Il ignorait encore – et n’osait même pas se poser la question – si ç’avait un lien avec la mort tragique et violente de Mercy, ou si c’était un effet secondaire du Serment qu’ils avaient fait, mais quelque chose avait changé, brutalement, trop vite pour que le Chasseur l’accepte.

Il la scruta aussi longtemps qu’elle restait les pieds enfoncés dans le mou des vagues.

Les questions se succédaient en lui, mais aucune réponse n’émergeait du flot de ses pensées.
Aucune qu’il ne veuille entendre ou écouter.
Aucun mot sensé n’apparaissait à la surface.

La cigarette était presque terminée. Il pouvait sentir le goût du filtre, désagréable et différent du tabac, quand Yara revint vers lui. Toujours debout – il n’avait absolument pas bougé d’un pouce – il pencha la tête pour la toiser.

Il accusa les mots, cillant légèrement. A son ton. A son reproche. A ce que ça pouvait bien sous-entendre.

L’envie de l’embrasser revenait, persistante, entêtante.

Pas question de ployer.

Même si le joli pendentif courrait sur sa gorge claire.

L’envie de plonger sa bouche sur sa peau était là aussi, dévorante. Une faim de loup, même.

Pas question de ployer.

Pas avant d’avoir une réponse.
Un mot à mettre là-dessus.

Il retira mollement la cigarette terminée de ses lèvres, l’écrasant entre l’index et le pouce avant de l’enfoncer dans sa poche – pas question de saloper le sable fin de la plage.

Et finalement, dans un sourire carnassier, Jack souffla seulement :

« Un cadeau de noël, ça doit être une surprise. »