an other wand story

L'épicière rejetait un coup d'oeil au CV tout en écoutant attentivement les réponses du jeune homme. Elle laissa planer un petit silence dans la boutique. Asel se fit la remarque qu'il n'y avait étrangement aucun client avant que son estomac ne lui donne une explication à cela. L'heure n'était plus tellement à faire ses provisions mais plutôt à se poser quelque part pour manger. La brunette jaugea  le fruit à 15g pièce et le reposa, déconfite.

« Et tu es disponible tout de suite ? »

Un fin sourire s'étira sur les lèvres de la belle iranienne. Sourire qu'Asel, bougonne préféra ignorer. Elle sortit sur le pas de la porte de la boutique, noyer son ressentiment dans le brouhaha du chemin de traverse. Ell ene manqua pas de faire un saut dans la boutique d'à côté, celle de son grand-père, mais il n'était pas là ce jour-là alors elle ne s'y éternisa pas, ressortant tout de même avec un petit sachet des croissants de Bill, l'aide de son grand-père.

« Alors ? Ça va le faire ? », demanda l'écossaise lorsqu'Adil ressortit.

Elle ne tarda pas à lui proposer de se poser quelque part pour manger, son ventre criant famine. On les installa assez rapidement et, en attendant que leurs commandes arrivent, elle avait mis la main sur une Gazette du Sorcier qu'un autre client avait dû oublier à la table d'à côté. C'était qu'elle n'avait guère avancé sur sa recherche d'appartement et il allait être vraiment temps de s'y mettre. Ses parents, bien sûr, ne la mettaient pas à la porte, loin de là. Mais elle voulait être indépendante, à défaut de rentrer pour de bon dans la vie active comme elle aurait souhaité le faire dès le départ.

« Celui-là à l'air pas mal. Dix-sept mètres carré. Isolation refaite à neuf. Très lumineux. 70g. par mois : mon budget ira pas plus loin de toute façon. », avec un salaire d'alternante, il faudrait qu'elle trouve une source de revenu à côté pour assumer une telle dépense mais elle avait déjà quelques idées et des contacts au Dispensaire. Elle entoura l'annonce, sans se rendre compte que l'adresse était à deux pas. Il fallait dire qu'à la base, leur virée sur le chemin de traverse n'était pas destinée à ça. Elle sourit, ayant parfaitement ou presque oublié le crush de Tariq et repoussé encore plus loin l'idée qu'Adil allait probablement passer ses journées avec elle.« Je suis contente qu'on ait enfin un peu de temps rien que tous les deux. »

Loin des regards inquisiteurs d'Amastan et suspicieux de Rhona. Elle sourit et étendit son bras vers l'autre côté de la table pour lui prendre la main. Tout était bien à ce moment précis.

Lorsqu'il lui fit comprendre que le boulot à l'épicerie c'était dans la poche, elle eut un petit sourire pétillant. Curieusement, elle ne pensa même plus à sa jalousie. Savoir qu'il avait obtenue cette petite victoire lui faisait plaisir pour lui, sans qu'elle n'ait la présence d'esprit de se dire que ce pouvait également être une bonne chose pour elle.

Attablés, leurs assiettes pleines, ils reprirent le fil de leurs conversations habituelles. Les recommandations de Charlotte pour la tenue d'Adil. La tête du professeur Higgs quand elle verrait qu'Adil avait bel et bien signé pour un M.U.L.O.T Sécurité Magique. Le plaisir d'être ensemble. La saveur des silences qu'ils partageaient aussi. Et puis cette recherche d'appartement aussi.

Lorsqu'il lui proposa de s'associer à ce projet, ses petits plans de moindre envergure se mirent tout à coup à luire d'une aura tout à fait différente. Le visage d'Asel s'illumina, ce qui était déjà une réponse en soi. Elle sourit de plus belle, serrant la main qu'il avait glissé dans la sienne un peu avant. Vivre ensemble ? Ça n'était pas rien mais comme pour tout le reste, elle, elle était prête. Parfaitement prête. Tout comme pour cette idée de mariage et ce, malgré les mises en garde répétées de sa mère. Pour elle, faire sa vie avec Adil Mesli était une évidence depuis que leurs lèvres s'étaient embrassées la première fois. Elle n'avait aucun doute là-dessus. Ils feraient leur vie ensemble. Seule la manière lui échappait complètement mais à ses yeux, et même malgré tout ce qui s'était passé, ça n'avait pas grande importance. Tout ce qui comptait s'était d'être ensemble.

« Si si si je veux. Bien sûr que je veux. Je te l'ai dit l'autrefois : je veux tout faire avec toi. C'est juste... », elle ne savait pas trop comment tourner ça pour qu'il ne le prenne pas mal.

Elle, avait toujours montré ce fort besoin d'indépendance. Cette décision de prendre un appartement n'avait d'ailleurs choqué personne. Cela faisait partie de ses projets depuis au moins deux ans et, si la feuille de route initiale avait été légèrement bousculée, elle n'en conservait pas moins ce besoin intense de s'assumer, de se débrouiller seule. Alors que lui... Certes, si l'on mettait bout à bout tout le temps qu'ils avaient passé ensemble, il n'y avait même pas de quoi remplir une année et, il était vrai qu'ils savaient somme toute peu de choses l'un de l'autre. Mais Asel avait tout de même quelques certitudes en ce qui concernait Adil...

« Amastan et Ellie ? Tu es sûr... je veux dire : je vais vraiment pas te juger ou faire la gueule si on ne vit pas ensemble tout de suite. Je sais que c'est important pour toi de rester au plus près d'eux. », avança-t-elle prudemment, « Ah merci ! », fit-elle en réceptionnant le grand verre que le serveur lui apportait.

La boisson du jour, parfait accompagnement du plat du jour avait dit le serveur. Le plat du jour étant un steak frites, Asel ne s'était absolument rien imaginé de la boisson du jour en tout cas, certainement pas une espèce de milkshake chocolat fumant. Elle s'apprêtait à prendre une gorgée de la boisson mystère tout en reprenant sa conversation avec Adil quand un grand hurlement s'échappa de sa bouche, la coupant au milieu de sa phrase.

« C'est que le chef essaie de mettre au point une boisson qui pourra être médaillée au Grand Concours des Brasseurs de la Lune Rousse. », s'excusa le serveur, puis, à titre indicatif, « Vous en pensez quoi ? Très honnêtement... »
« Bah euuuh... c'est... on dirait un peu... y a comme un arrière goût de fumier ou quelque chose. Je saurais pas dire si ça passe ou si c'est franchement dégueulasse. Vous avez dit que c'était à quoi déjà ? », grimaça Asel que la mention des festivités du mois prochain avait rendue suspicieuse.
« Je peux rien dire. La recette doit rester secrète jusqu'au concours. »

Elle tira sur la touillette. C'était une espèce de sucette tête de mort. Elle espérait qu'au moins, le cuistot n'écoulait pas son stock de bonbons de l'année précédente. Elle regarda le serveur s'escamoter derrière une nouvelle commande, puis repoussa son verre du bout du doigt. Elle n'aurait plus jamais confiance en cette boisson chocolatée désormais... d'ailleurs elle n'avait pas senti le goût du chocolat.

Elle n'eut aucun mal à voir qu'elle avait mis le doigt sur quelque chose. Sans surprise d'ailleurs. Asel baissa le regard un instant, pour lui laisser son espace. Il n'était peut-être pas prêt à déballer tout ça là, sur la terrasse d'une rue aussi passante que le chemin de traverse. Elle ne lui en aurait pas voulu, étant elle même incapable de partager avec quiconque ce qui agitait tant ses nuits et traçait sous ses grands yeux de chouette des cercles sombres. Elle en était à se demander comment elle pourrait désamorcer pour le mettre à l'aise quand le serveur leur offrit une petite ellipse inattendue.

Asel jeta un regard oblique à son épaule devant la réaction vive du kabyle. Elle n'était pas la dernière pour faire des esclandres mais là tout de même. Elle laissa le pauvre serveur se dépatouiller d'Adil la Terreur puis quand ils se trouvèrent à nouveau seuls :

« Je sais pas si tu es au courant mais c'est un peu le risque quand on prend "la suggestion du jour"... », évidemment, elle n'avait pas pris la suggestion du jour au hasard. Asel aimait être surprise.

Le serveur réapparut deux secondes plus tard, posant devant eux une boisson chocolatée. Contrairement à la première, elle sentait vraiment bon le chocolat, aussi l'écossaise savait déjà qu'elle n'y toucherait pas mais elle fit mine de rien pour ne pas donner de raison à Adil la Terreur de repointer le bout de son nez.

De toute manière, Adil était déjà passé à autre chose, revenant au sujet qu'elle aurait pensé qu'il éviterait. Elle ne chercha pas à l'interrompre ni à faire le moindre insert pour transposer son propre ressenti. Elle comprenait mais elle ne pouvait pas savoir. Pas exactement. Ils avaient des parcours de vie très différents. Parcours dont au final elle ne savait pratiquement rien, si ce n'était qu'il avait été élevé par son oncle et sa tante, loin de son Algérie natale, sans doute après la disparition de son père. Elle n'était pas tout à fait sûre de la raison pour laquelle il n'était pas resté vivre avec sa mère. Tout ce qu'elle avait c'était des théories et des scénarios qui lui demandaient force projection car dans ses modèles à elle, aucune raison ne pouvait justifier de se séparer de son enfant, à moins d'être mort ou de représenter un danger pour lui. Enfin, c'était vite dit. Elle n'avait pas d'enfant elle, ni de mari disparu.

Elle lui prit la main tandis qu'il regardait au loin, le regard dans le vague. Les yeux baissés sur son assiette, pensive, elle lui caressait distraitement la peau de son pouce comme elle le faisait souvent. C'était un geste sans vraiment y penser mais à force de le répéter, c'était devenu un stimulus. Une zone de sûreté et d'amour. En quelque sorte, un chez eux qui n'avait pas besoin de toit pour exister.

Elle ne dit rien. Ni qu'elle comprenait. Ni qu'elle n'imaginait pas ce que se serait que l'Île de Skye soit rayée de la carte. Ça n'aurait rien apporté. Ça n'aurait eu aucun sens de comparer.

Elle acquiesça silencieusement à plusieurs reprises tandis qu'il reliait tout cela à ce qui s'était passé cet été. Les lèvres pincées, elle ne parvint pas à pousser les mots à franchir sa bouche alors elle dit simplement :

« Mais tu es à mes côtés Adil. Pas besoin de se mettre en ménage tout de suite pour ça. Je sais que tu es là pour moi. Et moi je suis là pour toi aussi. »

Elle eut un petit sourire doux. Sa gorge était sèche et nouée. Sans y penser, elle prit son verre et y trempa ses lèvres avant d'ouvrir des yeux effarés

« Surtout ne panique pas. Tout le monde est allergique au chocolat dans ma famille paternelle. J'aurais jamais dû boire ce truc. J'avais soif, j'ai pas réfléchi. Je sais pas exactement ce que ça va faire par contre... »
[color

« Non non non mais t'affoles pas je suis sûre qu'il va rien se passer au final je- »

En vérité, on l'avait tellement mise en garde contre le chocolat étant enfant et ado qu'Asel était loin d'être aussi tranquille qu'elle voulait bien le dire. Mais bon, Adil avait l'air encore plus paniqué qu'elle alors ce n'était peut-être pas la peine de mettre leurs angoisses en commun. Déjà il venait de son côté de la table, se mettant à sa hauteur à elle, qui était restée assise quand des piaillements enthousiastes attirèrent son attention vers une autre table un peu plus loin.

Le regard en fente de meurtrière qu'Asel arborait en quasi permanence à Poudlard refit surface mais il décampa à la seconde où elle comprit de quoi il retournait vraiment. Son coeur bondit dans sa poitrine. Elle savait bien qu'Adil n'était pas du tout en train de la demander en mariage mais ça lui faisait son petit effet quand même et à voir sa réaction à lui...

L'écossaise, un peu cruelle, pouffa de rire, avant de venir à son secours.

« Oui, radicalement allergique. Embrasse-moi au lieu de dire des conneries... »

Elle lui prit le visage entre les mains. La température était montée tout d'un coup. En tout cas cela suffit à enflammer les deux fangirls de la table d'à côté. Asel quand à elle les avait visiblement zappée comme tout le reste de la rue puisque, chose étonnante de sa part, elle était en train d'embrasser ce pauvre Adil à pleine bouche, comme s'ils avaient été seuls. Tout à coup, elle s'arracha à ce baiser, bondissant littéralement en arrière au point de renverser sa chaise :

« Ah ! C'est ça ! C'est ça que ça fait le chocolat !!! Mais c'est pas du tout ce qu'on m'a dit !!! Mais comment je vais faire là moi ? »

Réflexe spontané : elle se cacha les yeux de sa main, laissant les deux groupies dubitatives et sans doute Adil aussi.

« Non ! T'approche pas de moi ! Dis rien. Fais rien ! »

Il avait fallu qu'elle attende vingt piges pour braver sans le faire exprès l'interdiction du chocolat dont on lui avait fait tout un monde, et elle comprenait bien pourquoi d'ailleurs. Très honnêtement, c'était le genre de choses qu'elle aurait préféré savoir avant de faire la connerie. Si elle avait su, elle aurait acheté une tablette de chocolat pour un jour où ils se seraient trouvés seuls dans son futur appart' ou quelque chose du genre. Là en pleine rue, elle ne s'était jamais sentie aussi mal de toute sa vie. Entre la frustration et l'angoisse du regard d'Adil.

« Je... j'ai... t'as pas un bout de papier ? », demanda-t-elle en voyant qu'elle ne s'en sortait pas.

Au final, elle n'attendit même pas la réponse, préférant déchirer un morceau de son set de table, griffonner grossièrement quelques hiéroglyphes dessus puis glisser le tout vers Adil, le visage baissé vers son set de table mutilé, la main toujours en visière pour masquer sa honte.

Elle n'avait jamais été une as des rébus...